Le photographe : Guillaume Binet
« Je ne connais pas son nom, ni ne sais si elle est toujours vivante. Les gardes m’ont interdit de lui parler. Elle faisait partie d’un groupe de femmes détenues dans la cour d’un centre de détention situé à 60 kilomètres à l’ouest de Tripoli, près de la côte. Alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Europe par la mer Méditerranée, elles ont été arrêtées par les garde-côtes libyens qui les ont ramenées dans le centre de détention.
Beaucoup de femmes ont eu de graves brûlures sur les jambes. Les éclaboussures d’eau de mer sur le canot pneumatique ont provoqué une réaction avec l’essence qui avait été renversée dans le fond du bateau là où les femmes étaient assises. L'exposition prolongée à ce mélange toxique a provoqué les brûlures chimiques.
La femme au voile rose avait des blessures importantes aux jambes. Elle était assise sur le sol en silence, sa respiration était courte et on pouvait lire la douleur sur son visage. Les autres femmes chassaient avec leurs voiles les mouches qui se posaient sur les blessures. Il y avait eu une tentative de couvrir ses brûlures avec des bandages sales.
Une des femmes m’a murmuré :
“Nous avons peur. Personne ne veut rester ici. Nous voulons retourner chez nous. Ils nous font souffrir. Ils nous frappent…”
Mais elle a arrêté de parler lorsque les gardes se sont rapprochés.
Pour certaines femmes, c’est la troisième fois qu’elles tentent de fuir la Libye par la mer et qu’elles se font intercepter par les garde-côtes libyens puis reconduire dans un centre de détention.
Je ne sais pas ce qui est arrivé à la femme au voile rose. Mais sans les soins médicaux dont elle avait désespérément besoin, je doute qu'elle soit encore en vie. »
Guillaume Binet, mars 2017
Guillaume Binet est un photojournaliste français et le cofondateur de l'agence photo Myop. Il a voyagé de manière indépendante en Libye en mars 2017 pour documenter le sort des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile détenus à Tripoli et dans ses environs. Il est parvenu à accéder à plusieurs centres de détention, y compris ceux où MSF offre des soins médicaux.
MSF n'a pas pu accéder au centre de détention dans lequel cette femme, et bien d'autres, était détenue. Les environs sont trop dangereux pour que l'équipe médicale puisse s’y rendre.