URGENCE GAZA

Gaza : l’hôpital Nasser au bord de la rupture

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Abir Abujarad, administratrice MSF à Gaza

Le 27 décembre 2008, l'opération militaire israélienne "Plomb durci" était lancée sur la bande de Gaza. Huit mois après, quelles conséquences pour la population civile ? Rencontrés en juillet dernier, patients et personnels MSF - expatriés et palestiniens - témoignent.

« Cela fait 10 ans que je suis arrivée d'Algérie et que je vis ici. Je n'ai jamais vu une telle violence.

J'étais au bureau. C'était un samedi, mais j'avais beaucoup de travail. Mes enfants étaient à l'école et mon mari à la maison. D'un seul coup, j'ai entendu une explosion. Au départ, j'ai pensé que c'était un avion qui franchissait le mur du son. Je suis descendue en courant, il y avait de la fumée partout. Nous avons allumé la radio et avons compris que plusieurs endroits avaient été bombardés en même temps.

L'école de mes enfants est accolée à un poste de police du Hamas, j'ai eu très peur ! Nous ne pouvions pas sortir, je voulais, mais ils m'en ont empêchée. J'ai voulu téléphoner à l'école mais les lignes étaient coupées. Je suis restée une heure sans nouvelles. Le mari d'une amie a été prendre ses enfants et les miens à l'école, il les a déposés. J'étais si soulagée, ils pouvaient bien bombarder maintenant...

Mon mari m' a dit de rester sur place, on pensait que ça ne durerait que la journée, mais ça n'a pas cessé. En fin de journée, quelques minutes avant la tombée de la nuit, j'ai pris ma voiture pour rentrer à la maison. Il n'y avait personne dans les rues, que des avions, des hélicoptères et des bombardements.

En me voyant, mes voisins m' ont traitée de folle. Toutes les fenêtres étaient cassées. Il faisait froid, c'était l'hiver. Jessica m'a téléphoné pour me dire qu'elle était rentrée dans Gaza. Je l' ai rejointe au bureau avec mes enfants. Mon mari est resté avec sa famille, mes beaux parents étaient âgés, son père était malade, ils ne pouvaient pas bouger. Je l' avais tous les jours au téléphone, il fallait insister, être patient car les lignes étaient aléatoires, mais il était rassuré de nous savoir avec MSF. Quand le cessez-le-feu quotidien a été instauré, il venait nous voir.

On travaillait 24 heures sur 24, on recevait des appels d'intimidation, de soi-disant Algériens, souvent la nuit, vers 3 ou 4 heures du matin, c'était effrayant : « ça va être pire, là ce n'est rien, ce n'est que le début ». Une vraie guerre psychologique, c'était épuisant nerveusement.

Mes trois enfants, âgés de huit, neuf et dix ans, ne pouvaient pas sortir du bureau ou de la maison. Ils ont commencé à faire pipi au lit, criaient, pleuraient, avaient peur, voulaient rentrer à la maison. Ils posaient beaucoup de questions : « Pourquoi nous ? Qu'est ce qu'on a fait de mal ? Pourquoi on est là ?» Ca me martelait la tête et les nerfs. Ils voulaient quitter Gaza, rentrer en Algérie.

On avait vidé les coffres, j'avais mis tout l'argent dans un sac à dos qui ne me quittait jamais. Je dormais avec mes enfants et ce sac, mes priorités. J'étais sûre que nous allions mourir, j'ai souvent cru notre dernier moment arrivé. En fait ce qui me faisait le plus peur c' était d'être blessée et de ne pas mourir ou que moi je meure et pas mes enfants, qu'allaient ils devenir sans moi ? Je me disais que je ne pourrais pas survivre à la mort de l'un d'entre eux ou de mon mari.

J'ai contacté tous mes amis pour leur demander de prendre soin de mes enfants s'il m'arrivait quelque chose. La présence des expatriés avec nous c'était rassurant, une garantie de sécurité. Les appels reçus de France aussi, tout cela était important, cela nous a beaucoup aidés. Je me disais que si quelque chose nous arrivait, le monde le saurait ainsi. Et pourtant, pendant la guerre, je ne croyais plus au drapeau MSF, surtout après que les Nations Unies et le CICR se soient fait tirer dessus.

On voyait les photos de l'hôpital Al Shifa, des enfants blessés, morts... C'était terrible. Un de nos kinésithérapeutes a vu mourir toute sa famille. Notre tour allait venir, c'était obligé. Le pire moment a été celui de l'incursion terrestre. Ca tirait tout le temps, on avait le sentiment que les bombardements arrivaient dans le jardin. La maison tremblait, on ne pouvait plus dormir. Ils étaient à deux rues d'ici.

Le jour du cessez-le-feu, je n'avais plus de forces, mais je suis quand même rentrée chez moi, même si ce n'était pas totalement terminé. On n'était sûrs de rien : était ce vraiment fini ? Etait ce seulement la fin de l'incursion terrestre ? J'ai emprunté les petites ruelles, il restait des chars sur les grands axes. Quand je suis arrivée chez moi, il n' y avait personne. Ils avaient tous du déménager, mais je ne le savais pas. Ils avaient du s'entasser à 35 dans 100m². Les plus âgés allaient mal. Mon beau-père avait refusé de manger tout le long. Il est mort le lendemain de la fin de la guerre.

Ma maison était si sale, si poussiéreuse, je ne pouvais pas rester là. En plus, mon mari, persuadé de mourir, avait tout donné (le frigo, la gazinière, les lits...) à des voisins qui avaient tout perdu. Mais ça n'était qu'une perte matérielle. Nous avons loué un appartement équipé dans la ville de Gaza, près du bureau.

Ce que MSF a fait pendant la guerre, aucune autre ONG ne l'a fait. On a su s'adapter, ne pas se laisser bloquer par le contexte ou les règles qui interdisent ou contrôlent. Beaucoup de gens étaient rassurés par notre présence. La neutralité et l'impartialité qui nous caractérisent doivent être préservées car elles nous sauvent. Nous soignons tout le monde, sans nous préoccuper de savoir d'où viennent nos patients. Nous sommes aux côtés des plus démunis, nous sommes connus pour ça, c'est notre force. Je travaille depuis 2001 avec MSF. Mon travail c'est ce qui me tient debout. Etre occupée me permet de penser à autre chose

Mes enfants font toujours des cauchemars. Ils rêvent que des chars viennent sur la maison et que leur père les écrase avec sa voiture. Nous avons tous été débriefés par le psychologue. Depuis la guerre, ma fille boite, sans aucune raison médicale.

Je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé. C'était si injuste, beaucoup de proches ont subi les bombardements, des tirs de chars dans leur maison, comme ma sœur. Beaucoup ont été blessés, amputés alors qu'ils n'ont aucune affiliation politique. Ma sœur avait trouvé refuge dans une école de l'UNRWA (agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens), ils ont été bombardés là aussi. Elle a la double nationalité, elle est partie à la fin de la guerre, elle est rentrée en Algérie.

Personne n'est bien et tout le monde est pauvre. Si je le pouvais, moi aussi je partirais. Je ne vois pas d'avenir pour mes enfants. Ici, même les comptines pour enfants sont politisées. Je sais qu' ailleurs, il est possible de vivre ensemble, sans problème, sans affrontements. Je vivais comme cela, enfant en Algérie. Je voudrais que mes enfants aient cette chance, soient ouverts et tolérants. Je voudrais qu'ils aient le choix. »

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