« Mon employeur m'a fait dormir sur le balcon, même en hiver », témoignages sur les conditions de vie des travailleuses domestiques migrantes au Liban

Sur 176 500 migrants vivant au Liban[1] en 2024, environ 70 % sont de femmes et près de la moitié sont des travailleuses domestiques. Originaires principalement d’Éthiopie, du Bangladesh et du Soudan, ces travailleuses vivent chez leurs employeurs, souvent dans des conditions très difficiles. Dans sa clinique à Bourj Hammoud, au nord de Beyrouth, Médecins Sans Frontières (MSF) prend en charge les travailleurs migrants et est le témoin direct de leur exploitation et de leurs conditions de vie extrêmement précaires.
Dans le cadre du système de Kafala, de nombreuses femmes sont recrutées dans leurs pays d’origine pour travailler dans des familles au Liban. Elles sont mises en lien avec un “garant" - leur futur employeur – qui conditionne leur obtention d’un titre de séjour.
« Les travailleuses domestiques migrantes ne relèvent pas du Code du travail, mais du système de kafala, en vertu duquel le permis de séjour de la personne est lié au contrat avec son employeur »
- Rapport d'Amnesty International, 2019 [2].
Cela signifie qu’en cas de rupture de contrat, même pour raison de violences, elles perdent leurs droits de rester dans le pays. Elles s’exposent alors à de la détention, ou à être expulsées.
Les organisations de défense des droits de l'Homme qualifient le système de Kafala « d’esclavage moderne » [3]. Les travailleuses sont souvent surchargées de travail, peu ou pas rémunérées, et ne bénéficient ni de pause ni de jours de congé. Elles vivent chez leurs employeurs, qui confisquent souvent leurs passeports et les coupent du monde extérieur. Dans certains cas, elles n’ont même pas le droit de communiquer avec leur famille restée dans leur pays d’origine.
Les équipes MSF constatent les conséquences graves de ce système sur la santé des travailleuses migrantes.
Martha*
25 ans, originaire d’Éthiopie
« Je suis tombée malade, j’avais de graves douleurs rénales. Mon employeur a refusé de m'emmener chez un médecin. Ce n’est que lorsque je ne pouvais plus marcher qu’il a accepté. »
À la clinique de Bourj Hammoud, dans la banlieue nord de Beyrouth, MSF offre des consultations de soins de santé primaires, des services de santé sexuelle et reproductive et des services de santé mentale, y compris des consultations psychiatriques.
« En 2024, le nombre de consultations psychiatriques à la clinique de Bourj Hammoud a doublé par rapport à l'année précédente », déclare Elsa Saikali, responsable de la santé mentale chez MSF. « Cela met en évidence l’ampleur des besoins en matière de santé mentale. Les travailleuses migrantes sont souvent déshumanisées, victimes de racisme et de discrimination, et exposées à des abus physiques et sexuels ».
Makdes*
22 ans, originaire d'Éthiopie
« Ils ne me donnaient pas à manger. J’ai passé 15 jours enfermée dans cette maison, j'attendais que tout le monde soit endormi pour prendre en cachette du pain ou des oranges. Je vivais de restes. »
Pour Makdes* et pour toutes les autres travailleuses domestiques, toute démission ou demande de changement de famille nécessite l’autorisation de l’employeur. Sans cet accord, elles risquent des poursuites judiciaires.
Celles qui décident tout de même de fuir ne trouvent pas toujours de soutien dans les communautés de migrants. Beaucoup se retrouvent alors seules, à la rue et sans papiers. Le retour dans leur pays d’origine est souvent impossible : elles n’ont plus de passeport et n’ont pas les moyens de payer un billet d’avion. Rester au Liban devient donc la seule option, malgré leur situation d’extrême vulnérabilité.
C’est pour accompagner ces femmes que les équipes MSF proposent des consultations de santé mentale dans la clinique de Bourj Hammoud. Pour les soutenir au mieux, « nous travaillons avec des éducateurs en santé communautaire, qui sont des membres du personnel de MSF issus des communautés migrantes. Ils facilitent les liens avec les patientes car ils traduisent les consultations, instaurent de la confiance, et s'assurent qu’elles sont correctement informées de leur état de santé », explique Elsa Saikali. « Nous sommes l'une des rares organisations au Liban à proposer des traductions dans nos services ».
Parce que les besoins des travailleuses domestiques migrantes dépassent largement le cadre médical, MSF travaille également avec des travailleurs sociaux. « Les personnes migrantes ont des besoins essentiels comme un abri, de la nourriture et une aide financière. On les oriente donc vers d'autres organisations qui proposent ces services », explique Hanan Hamadi, assistante sociale MSF à la clinique de Bourj Hammoud.
Les attaques de l’armée israélienne au Liban ont encore aggravé la situation déjà extrêmement précaire des travailleuses domestiques migrantes. Abandonnées par les familles chez qui elles travaillaient, certaines ont été livrées à elles-mêmes dans la rue, d'autres ont été enfermées dans les maisons en zone de conflit.
Beatrice*
29 ans, originaire du Sierra Leone
« Il [l'employeur] m’avait enfermé à l’intérieur, lorsque j’ai vu une bombe tomber sur un immeuble proche de la maison, j’ai sauté du balcon pour m’enfuir. Je me suis cassée les deux chevilles. »
Grâce aux responsables de santé communautaire, MSF a pu apporter une aide d’urgence là où les travailleuses domestiques se sont réfugiées. Les équipes MSF ont distribué des biens de première nécessité et fourni des soins via une clinique mobile.
*Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes.
[1] Organisation internationale pour les migrations (OIM)
[2] Rapport Amnesty International, 2019
[3] Human Rights Watch