Au Proche et Moyen Orient en général, et notamment dans les Territoires palestiniens, la société est patriarcale. L'homme, le chef de famille, se doit d'être fort, physiquement et psychologiquement. Il doit contrôler ses sentiments, sa tristesse ou sa peur. L'expression des émotions, considérée comme une faiblesse, est réservée aux femmes, justifiant ainsi notamment le rôle protecteur du mari, père, frère, cousin etc.
L'enfant « porte-symptôme ». Un enfant qui va mal a souvent des parents eux-mêmes en grande détresse. J'ai souvent vu des enfants exprimer des angoisses, un malaise en fait partagé par l'ensemble de la famille et ce alors que leurs parents n'osent pas (s') avouer qu'eux-mêmes ont été et sont encore, en souffrance. Ces angoisses et peurs, ont souvent pour origine un événement traumatisant vécu par toute la famille (bombardement, incursion, combats armés, confrontation à la mort, peur pour leur vie, perte d'un proche...) Les parents, eux-mêmes effrayés à ce moment là, n'ont alors pas été en mesure de le rassurer. L'enfant a eu peur de perdre ses parents et ne s'est pas/plus senti protégé. Cette absence de parole, cette impuissance des parents peuvent alors être vécus, par l'enfant, comme une mort psychique des parents. Les symptômes de détresse psychologique sont plus flagrants chez les plus jeunes (cauchemars, énurésie, agressivité, troubles scolaires) que chez les adultes et constituent un appel à l'aide à destination des parents. Alors que les adultes, hommes comme femmes, ont du mal à demander de l'aide pour eux, ils sont plus enclins à le faire pour leurs enfants.
Approcher les mères, les femmes. La plupart du temps ce sont les mères qui accompagnent les enfants aux consultations, discutent avec le psy, se familiarisent avec ce type de prise en charge et, avec le temps, en constatent les bienfaits pour leur fils ou fille. Lors des premiers rendez-vous, je demandais à la maman de m'expliquer ce qui s'était passé, en recentrant au maximum sur les réactions de son enfant et du reste de la famille. Certaines femmes se rendaient alors compte qu'elles étaient elles-aussi très affectées et se laissaient aller à parler de leurs difficultés. Il est évident que si les évènements traumatiques ont laissé des traces chez l'enfant, il en va de même pour sa mère qui doit, pendant et après, continuer à prendre soin de lui, ne pas faillir à son rôle.
On retrouve chez ces femmes les symptômes classiques du syndrome de stress post-traumatique : changement d'humeur, insomnies, incapacité à se projeter dans l'avenir, à penser positivement, sentiment d'être une « mauvaise » mère, anxiété diffuse... Certaines ont des « flash back », font des cauchemars à répétition. Beaucoup souffrent aussi de solitude conjugale, leur mari est absent de l'éducation des enfants et pour sa femme. De plus, dans la culture palestinienne, la cellule familiale s'entend au sens large : parents, enfants, mais aussi grands-parents, oncles, tantes etc. Généralement, la femme vient vivre avec son mari dans sa belle-famille, se retrouvant ainsi « coupée » des siens. Elle a parfois peu de poids au sein de cette famille « élargie » en ce qui concerne l'éducation des enfants ou les choix de vie importants, ce qui peut amener à un sentiment d'impuissance, à une difficulté à trouver sa place.
Comme partout ailleurs, la mère palestinienne occupe une place primordiale dans la vie de son enfant. Mais parfois une femme n'a pas ou plus les moyens ou les ressources nécessaires pour pouvoir assumer ce rôle. Elle a alors le sentiment d'être une « mauvaise » mère. La prise en charge psychologique et en simultané de la mère et de son enfant se justifie alors d'autant plus.
Un groupe thérapeutique de femmes. Parmi mes patients, 80% avaient moins de 15 ans. Sachant qu'un enfant ne peut progresser sans ses parents, et notamment sans sa mère, j'ai décidé de monter un groupe de six femmes, mamans d'enfants que je suivais. La plupart ne savait pas/plus comment réagir face à l'agitation, l'énurésie ou l'agressivité de leur enfant. Certaines culpabilisaient de ne plus être assez patientes. J'ai pensé intéressant que ces femmes se réunissent et partagent leurs difficultés, mais aussi et surtout leurs « solutions », trouvent d'autres réponses que la violence, se sentent moins seules. Les personnes qui ont été confrontées à la mort ont souvent l'impression de ne plus appartenir au monde des vivants, d'être coupées de leur communauté. Via ce groupe, elles ont pu retrouver un sentiment d'appartenance, de partage. Enfin, il était évident que les suggestions ou conseils qu'elles pourraient recevoir d'autres femmes, ayant traversé les mêmes épreuves, auraient beaucoup plus d'impact que l'avis d'un psychologue.
Nous avons organisé huit séances, avec toujours les mêmes participants. Un thème était abordé à chaque session (énurésie, place du père et de la mère dans la famille, violences domestiques, quoi faire durant un bombardement etc.) Il y avait aussi une dimension « psycho éducative » : je leur parlais des différentes causes de l'énurésie (organiques, psychologiques, sociales) par exemple, ou encore de la maltraitance (qu'est ce que c'est ? quelles conséquences pour les enfants ?) Pour pouvoir rebondir sur les propos des unes et des autres, j'ai formé Hiba, ma traductrice, à la traduction en direct. Elle a aussi appris à couper régulièrement le fil de la discussion afin de pouvoir poser des questions plus précises à une patiente. Enfin, nous avions décidé de terminer chaque session avec un rituel de fin : chaque participante devait partager une histoire qu'elle pourrait raconter à ses enfants au moment du coucher : un conte, l'histoire d'un prophète, une récit que leurs propres mères leur faisaient quand elles étaient plus jeunes.
Les résultats obtenus au sein de ce groupe ont été très encourageants. Lors de la dernière séance, les retours des patientes ont été extrêmement positifs. Elles ont pu échanger avec d'autres sur leur rôle auprès des enfants, mais aussi sur leurs besoins et ressources en tant que femmes dans ce contexte si particulier. Grâce à une meilleure connaissance des symptômes de leurs enfants, ainsi que de leurs propres réactions, certaines ont réalisé que le but de leur enfant n'était pas de les embêter, mais que c'était un appel à l'aide, la transcription des angoisses de leurs petits. J'ai aussi constaté des résultats surprenants chez les enfants : une diminution très nette, voire un arrêt complet, des cauchemars et de l'énurésie, la possibilité de sortir à nouveau de la maison, de jouer sans que la mère soit obligatoirement présente.
Enfin, plusieurs femmes nous ont fait part de l'intérêt que portait leur mari à ce groupe. Certaines ont alors ressenti, à nouveau, que leur époux était en mesure de les épauler dans les situations difficiles que toute mère peut rencontrer avec ses enfants ; difficultés souvent amplifiées par la situation dans la bande de Gaza.
Dossier "des soins pour les femmes"