Châtenay, mise à l’abri

MSF provides medical assistance in Covid+ centres in Paris and the suburbs
Centre Covid+ de Châtenay-Malabry, dans les Hauts de Seine. Les centres Covid+ ou centres de desserrement accueillent et prennent en charge les personnes en situation précaire présentant des symptômes du coronavirus (suspects ou positifs). © Agnes Varraine-Leca/MSF

Agnes Varraine-Leca travaille pour Médecins Sans Frontières, elle a documenté ces dernières semaines la mise en place des activités de MSF en réponse à la pandémie de coronavirus en France. Récits autour de son reportage à Châtenay-Malabry, où l'association intervient dans un centre Covid+.

Centre Covid+ de Châtenay-Malabry, en Ile de France. L’ambulance arrive en silencieux, seul le gyrophare bleu s’active. L’A86 n’était pas vide, loin de là, c’est plutôt l’absence d’avions dans le ciel qui paraît étrange. L’ambulancier tire le frein à main et sort pour ouvrir la porte coulissante. « Allez, vous pouvez descendre, on est arrivé », lance-t-il au jeune homme trapu qui se tient assis à l’arrière avec son sac à dos sur les genoux, façon écolier. Masque et gants obligatoires, l’un des deux est troué au pouce. 

L’homme vient d’Afghanistan ; enfin, il vient surtout d’un centre d’hébergement aux Lilas, dans le nord-est de Paris. Et c’est ça qui intéresse Elodie, infirmière, plantée sur sa chaise pliante, installée à deux pas de la prairie et en charge des admissions. La chaise à la mode camping et sa propriétaire se trouvent à l’entrée des Acacias, le bâtiment qui sert depuis quelques jours de centre de “desserrement” à Châtenay-Malabry, en banlieue parisienne sud. On les appelle aussi les centres Covid+, ces lieux qui accueillent et prennent en charge ceux qui vivent dans la précarité et qui ressentent les symptômes du coronavirus, cas positifs ou suspects.

La litanie des acronymes commence. CMU? Oui. « Vous avez le papier? » RSA, non, parce que « c’est fermé ». Comprendre que le dossier a été clôturé, pour des raisons qui resteront inconnues. La discussion se fait au soleil, en français. Il parle pashtou et anglais aussi ; il a été évacué d’un camp il y a quelques semaines, probablement celui d’Aubervilliers démantelé au petit matin du 24 mars dernier.

Les admissions se font devant l'entrée du centre Covid+.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Les admissions se font devant l'entrée du centre Covid+. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Gymnase Jean Jaurès à Paris, 24 mars. Les silhouettes se dessinent derrière les vitres teintées du bus à l’arrêt devant le gymnase du 19ème arrondissement parisien. A l’intérieur, une centaine de personnes attend. Ce matin à l’aube, le camp d’Aubervilliers situé aux portes de Paris a été démantelé par les forces de l’ordre. 700 hommes ont été extraits de l’endroit insalubre où ils vivaient pour être emmenés dans des lieux d’hébergement d’urgence, réquisitionnés par les autorités le temps du confinement. Principalement des gymnases, où la promiscuité et l’assainissement rendent pour le moins difficile le respect des mesures dites barrières.

Vu du premier étage, le gymnase ressemble à un échiquier avec ses lits picot, disposés à deux mètres les uns des autres. « Allez, masque pour tout le monde là. » C’est Corinne qui vient de rentrer dans le gymnase. La cheffe de mission France pour MSF inspecte les lieux, fait le tour du propriétaire. Ancelyne, infirmière qui a repris du service pour filer un coup de main à Lariboisière, a son masque collé sur le visage, elle enchaîne les questions-réponses. La table d’un mètre la sépare de chacun des hommes qu’elle examine, pour s’assurer qu’ils vont bien. Elle passe en revue les symptômes du Covid-19 : si ça correspond, c’est masque et isolement à l’étage, avant d’être redirigés vers un centre Covid+ de la région.

Dans les gradins du gymnase, les anciens d’Aubervilliers attendent pour voir le médecin, Baptiste. Contrairement aux lits picot, ils sont plutôt à 20 centimètres les uns des autres. Depuis ce matin, Baptiste mime les gestes à respecter et tousse pour la énième fois dans son coude. Le respect des mesures barrières dans ce lieu a quelque chose d’absurde tant elles sont inapplicables. Sans parler des tests de dépistage, au nombre de cinq pour la centaine de gaillards rassemblés là. 

Gymnase Jean-Jaurès, Paris, le 24 mars 2020.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Gymnase Jean-Jaurès, Paris, le 24 mars 2020. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Centre Covid+ de Châtenay-Malabry. « Je vous apporte des nouveaux vêtements et on va monter ensemble voir votre chambre » annonce Nathan, de son mètre 80, le crâne rasé. L’étudiant, qui travaille habituellement dans une bibliothèque, a été fraîchement reconverti en animateur pour le compte de l’association Alteralia, qui gère les Acacias. Il monte les marches 4 à 4, les vêtements de son nouveau résident sous le bras. 

Arrêt au second étage, celui des cas suspects. En dessous, c’est le bureau des médicaux. Les présentations sont faites entre la chambre et l’intéressé, dans laquelle il restera 14 jours minimum. Si son état de santé se dégrade, il sera envoyé dans un hôpital pour être soigné. « La douche, c’est où? » Elles sont individuelles, lui répond-on, seules les toilettes sont partagées. Trois repas par jour, un toit et une portion délimitée du parc pour se dégourdir ou fumer. Du premier étage, on voit les chaises vides qui y sont disposées, à bonne distance les unes des autres comme les grands timides qui attendent de faire le premier pas.

Nathan, animateur pour Alteralia.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Nathan, animateur pour Alteralia. © Agnes Varraine-Leca/MSF

La porte de la chambre 221 claque, l’homme file prendre sa douche. Bureau d’en face, Lucie, médecin, se prépare à faire un PCR, autre acronyme pour Polymerase Chain Reaction. Pour le commun des mortels : un prélèvement naso-pharyngé qui sert à savoir si une personne est effectivement contaminée par le virus. Si c’était le cas, elle serait alors déplacée au premier étage des Acacias. « Tu m’aides? » lance-t-elle du bureau au couloir, où Elodie se trouve. C’est le Sacre du Printemps qui commence version blouse, masque et charlotte. L’une enfile ses couvre-chaussures tandis que l’autre passe un premier bras, puis le second dans une sorte de toile plastique censée la protéger. « Le noeud derrière, et le chariot. »

Derrière les deux femmes cosmonautes low cost, le petit meuble noir recèle des biens précieux du moment : doliprane 500 et 1000, vitamine C. De l’escalier où elles s’engouffrent jaillit un « attends, j’ai oublié les lunettes » qui suspend la scène. Lucie, immobile dans les escaliers, fixe le sol ou ses pieds couvre-chaussés, matériel de prélèvement à la main. Une voix s’élève du fond du couloir. « C’est la 25ème heure d’affilées que je travaille, je me lève à 5h du matin moi demain. » Respiration énervée, la lumière de cette fin de matinée éclate les carreaux de la fenêtre. « Va falloir qu’on change les plannings hein. »

Le personnel médical effectue un prélèvement nasopharyngé au centre Covid+ de Châtenay-Malabry.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Le personnel médical effectue un prélèvement nasopharyngé au centre Covid+ de Châtenay-Malabry. © Agnes Varraine-Leca/MSF

CHU de Reims, 4 avril. « Ça fait six semaines que le personnel médical n’a pas été remplacé, on arrive à tourner à peu près dans toutes les professions. Et puis, on fonctionne à flux tendu depuis deux semaines à la réa. » Le professeur Bruno Mourvillier dirige le service de réanimation du CHU de Reims, où Olivier et son équipe de logisticiens ont monté une tente gonflable. Pour augmenter le nombre de lits de la réa, au cas où la “vague” soit plus haute que prévu. Ils ont commencé à 3h du matin et y sont toujours 24 heures plus tard. Plutôt habitués aux vrais tsunamis qu’aux métaphores, ils s’activent autour de la structure mobile, qui en vérité est seulement un morceau de l’hôpital gonflable de MSF. Le dernier endroit où on l’a dépliée, c’était aux Philippines en 2013, après le passage du typhon Haiyan. 

Evidemment, ça fait bizarre à tout le monde de la voir dans un CHU en France. « De toute façon, on n’a jamais su la monter », éclate de rire Daniel. Pourtant elle est opérationnelle en temps et en heure. Le prof est planté devant, il a l’air plutôt content et rassuré de sa soupape. Une zone tampon en quelque sorte, pour que les patients en état critique aux urgences puissent avoir des premiers soins de réa si celle-ci venait à être pleine. « On est à 85% en ce moment, la marge n’est pas énorme. »

Quelques minutes plus tôt, son équipe accompagnait un patient atteint du coronavirus dans ses derniers instants via whatsapp pour que les siens puissent être là, malgré le virus et la distance. La famille vit dans une autre région, et l’homme a été référé à Reims en hélicoptère. « On s’adapte, on apprend. » En bruit de fond, le camion frigorifique relié à la chambre mortuaire de l’hôpital.

Lucie, médecin pour MSF au centre Covid+ de Châtenay-Malabry.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Lucie, médecin pour MSF au centre Covid+ de Châtenay-Malabry. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Centre Covid+ de Châtenay-Malabry. Le monologue des plannings est interrompu, et cette fois-ci, c’est bien le son d’une ambulance. Le véhicule franchit la barrière d’entrée des Acacias, suivi quelques minutes plus tard d’un fourgon de police. Trois agents en descendent, le pendant cosmonaute professionnel d’Elodie et Lucie : combinaison intégrale digne d’une épidémie d’Ebola, lunettes et masque FFP2, le tout enrubanné d’une ceinture avec un pistolet. Corinne se tient à côté, avec son masque chirurgical baissé pour vapoter et sa veste MSF. Deux salles, deux ambiances. « On vous l’amène du CRA ». CRA pour centre de rétention administratif. 

L’Afghan a pris sa douche et regarde la scène clope au bec depuis le parc des grands timides. « Il a pas de papiers quoi! », vapote Corinne. Un grand maigre, survêt bleu des mers du sud, est escorté du fourgon jusqu’à la chaise camping d’Elodie, pour l’admission. L’ampleur du dispositif pour accompagner un homme sans papier suspecté d’être Covid+ le fait passer pour le Mesrine local. Ses affaires sont rassemblées dans un sac plastique qu’il tient à ses pieds.

Un résident prend l'air dans le jardin du centre Covid+ de Châtenay-Malabry.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Un résident prend l'air dans le jardin du centre Covid+ de Châtenay-Malabry. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Derrière, l’ambulance s’impatiente et Corinne gueule au téléphone, ça vapote sec. La troisième admission de la matinée est un usager de drogues, accro à la méthadone. « Vous nous refilez une patate chaude quoi ! Vapotage. On n’a pas du tout de quoi l’aider pour la suite et on nous a prévenus qu’il risquait de fuguer. L’objectif c’est qu’il ne se barre pas… Est-ce qu’il y a moyen d’avoir un traitement ou pas? » A la question du jour, pas de réponse. 

Les acronymes se succèdent à nouveau dans le hall d’entrée des Acacias. Au premier étage, Nathan finit de ramasser précautionneusement les plateaux repas terminés et bien emballés pour éviter les contaminations. Une quinte de toux fait trembler le couloir : son propriétaire, 88 ans et sans domicile fixe, a du mal à respirer derrière son masque. Lucie a fini son prélèvement qu’elle va envoyer à l'hôpital Hôtel Dieu et dont le résultat reviendra dans 72 heures. Autant de jours durant lesquels son résident sera surveillé de près, pour sa santé et celle des autres. 

L'un des agents de sécurité du centre, à la fenêtre du premier étage. Paris, avril 2020.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
L'un des agents de sécurité du centre, à la fenêtre du premier étage. Paris, avril 2020. © Agnes Varraine-Leca/MSF

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