Cisjordanie : à Jénine et à Tulkarem, le personnel médical et paramédical dans le viseur de l’armée israélienne

Une équipe MSF accompagnée de volontaires paramédicaux évaluent les dégâts et les besoins dans le camp de Jénine à la suite d'une violente incursion israélienne entre le 21 et le 23 mai 2024. Cisjordanie, Palestine.
Une équipe MSF accompagnée de volontaires paramédicaux évaluent les dégâts et les besoins dans le camp de Jénine à la suite d'une violente incursion israélienne entre le 21 et le 23 mai 2024. Cisjordanie, Palestine.   © Oday Alshobaki/MSF

La guerre en cours à Gaza a exacerbé la violence et les restrictions imposées par les autorités israéliennes aux Palestiniens vivant en Cisjordanie. Entre le 7 octobre 2023 et le 10 juin 2024, 521 Palestiniens, dont 126 enfants, y ont été tués. Près de 74 % des décès sont survenus lors d'opérations menées par les forces israéliennes dans des villes, des villages et des camps de réfugiés, en particulier dans les gouvernorats de Jénine et de Tulkarem, situés dans le nord de la Cisjordanie. Itta Helland-Hansen est coordinatrice de projet pour Médecins Sans Frontières (MSF) sur place. 

« Les incursions militaires israéliennes en Cisjordanie sont de plus en plus violentes et fréquentes depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023. Le personnel médical et paramédical est harcelé, attaqué, bloqué par les forces israéliennes alors qu’il tente de soigner les blessés. Du 21 au 23 mai 2024, la ville de Jénine et son camp de réfugiés ont subi une incursion militaire qui a duré 42 heures, l'une des plus longues d'une série de raids de plus en plus brutaux.

Cette incursion a commencé à 8 heures du matin, alors que les enfants arrivaient à l'école et leurs parents au travail. Le docteur Jabarin a été l’une des premières victimes, tué d'une balle dans le dos alors qu'il se rendait à l'hôpital Khalil Suleiman, où il exerçait en tant que chirurgien. L’armée israélienne a tué 12 Palestiniens au cours de ce raid.

Une maison du camp de Jénine, détruite à l'aide de bulldozers lors de plusieurs incursions israéliennes en Cisjordanie, Palestine. 
 © Oday Alshobaki/MSF
Une maison du camp de Jénine, détruite à l'aide de bulldozers lors de plusieurs incursions israéliennes en Cisjordanie, Palestine.  © Oday Alshobaki/MSF

Les incursions israéliennes à Jénine, de plus en plus fréquentes et longues, se concentrent principalement sur le camp de réfugiés de la ville, qui abrite plus de 23 000 Palestiniens. Des snipers sont déployés autour du camp et de la ville. À bord de véhicules blindés, les forces militaires bloquent les routes et empêchent l'accès aux ambulances. Il faut parfois des heures pour atteindre l'hôpital Khalil Suleiman, qui se trouve en temps normal à deux minutes de marche de l'entrée du camp de Jénine. La route vers l’hôpital est dangereuse et beaucoup de Palestiniens, malades ou blessés, préfèrent rester chez eux plutôt que d’aller se faire soigner.

Au cours d’incursions israéliennes répétées à Jénine et à Tulkarem, nous avons été témoins d'attaques incessantes et systématiques contre le personnel de santé. Nous avons également constaté que les forces israéliennes empêchaient les ambulances de circuler. Tous les travailleurs paramédicaux à qui j'ai parlé m'ont raconté avoir été personnellement harcelés, agressés physiquement et empêchés de fournir des soins médicaux d'urgence. Plusieurs ont été menacés, détenus et ont même évité des tirs.

Une maison détruite par les forces israéliennes à la suite de plusieurs incursions militaires dans le camp de Jénine, en Cisjordanie, Palestine. 
 © Oday Alshobaki/MSF
Une maison détruite par les forces israéliennes à la suite de plusieurs incursions militaires dans le camp de Jénine, en Cisjordanie, Palestine.  © Oday Alshobaki/MSF

À Jénine et à Tulkarem, nous renforçons les capacités des médecins et des infirmiers des hôpitaux Khalil Suleiman et Thabet Thabet. Nous formons également les ambulanciers, ainsi que les volontaires médicaux et paramédicaux dans les camps car les patients n’arrivent pas à temps dans les établissements de santé et risquent leur vie sur la route. Notre objectif est de leur permettre de maintenir les blessés en vie plus longtemps. Dans les camps de Jénine et de Tulkarem, nous avons également mis en place des points de stabilisation, avec quelques lits et du matériel médical. Ces points de stabilisation ont été attaqués, mis à sac par les forces israéliennes lors de raids et certains volontaires ne s’y sentent plus en sécurité. C'est pourquoi nous avons décidé de leur donner des trousses médicales. Nous formons également les habitants à soigner des blessures par balle et à poser un garrot.

À Jénine comme à Tulkarem, les maisons sont bombardées ou démolies par l’armée israélienne, les rues sont éventrées, les systèmes d'approvisionnement en eau et d'assainissement sont détruits et l'électricité, coupée.

La rue principale du camp de Jénine, détruite par les incursions israéliennes répétées en Cisjordanie, Palestine. 
 © Oday Alshobaki/MSF
La rue principale du camp de Jénine, détruite par les incursions israéliennes répétées en Cisjordanie, Palestine.  © Oday Alshobaki/MSF

Malgré le harcèlement permanent et la peur de mourir, les ambulanciers continuent à travailler et à soigner les blessés. Mohammed, l'un des volontaires du camp de Jénine, m'a raconté qu'il avait été blessé au poignet par un sniper lors de la dernière incursion israélienne. Il a pu se rendre à l'hôpital, s'est fait rapidement soigner et a repris son travail. 

Lors d'une autre incursion récente dans le camp de Nur Shams à Tulkarem, un volontaire paramédical de l’organisation PRCS [Palestine Red Crescent Society] formé par MSF a été blessé par balle à la jambe alors qu'il courait vers un patient pour le soigner. Il portait sa veste, qui indiquait clairement sa profession. Il a fallu plus de sept heures avant qu'il ne puisse atteindre l'hôpital et recevoir des soins adéquats.  

Certains volontaires nous ont raconté qu'ils se sentaient davantage en sécurité lorsqu'ils ne portaient pas leur gilet paramédical. Ce ne sont pas des gilets par balle évidemment, mais en aucun cas, ils ne devraient être des cibles. » 

Depuis octobre 2023, plus de 480 attaques contre la mission médicale ont été signalées en Cisjordanie. 

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