Aujourd’hui, Jawad a rendez-vous au bureau de MSF à Hébron, une ville en proie à de violents affrontements entre Palestiniens et colons israéliens. Les villages environnants sont surveillés de près par les forces israéliennes militaires et policières.
Jawad est originaire d’un de ces villages. Pendant plusieurs semaines, il a été suivi par un psychologue de l’équipe MSF, excepté les périodes où il était de nouveau arrêté et détenu par la police. A chaque arrestation, Jawad replongeait en dépression, tout était à refaire. Lors de sa récente libération, il présentait de graves symptômes post-traumatiques. Jamais jusqu’à aujourd’hui il n’avait parlé de ce qui s’était passé en prison.
Lorsque la session commence, Jawad est assis en face de la psychologue. Jawad a 28 ans, c’est un jeune homme mince, élégant, calme et intelligent. Il sourit davantage que lors des premières séances. Parfois, il devient nerveux et se frotte les yeux.
Lorsque la psychologue aborde le sujet de la prison, Jawad répond : « Je vous ai déjà parlé de ça ». Il a l’air surpris lorsque le psychologue lui dit qu’en réalité, il n’en a jamais vraiment parlé. La confiance est essentielle. Elle s’acquiert difficilement, surtout pour un homme arrêté à plusieurs reprises pour son activisme politique et qui a subi d'innombrables interrogatoires en prison. Toutes les séances avec Jawad ont permis de construire cette confiance, afin que le dialogue soit possible.
Jawad raconte qu’il a commencé à devenir activiste à 22 ans, à cause de la situation à Gaza qui le révoltait. Il a commencé à rencontrer des personnalités politiques engagées et à participer à des manifestations. Un jour, alors qu’il était assis chez lui devant son ordinateur, l’armée israélienne a soudainement fait irruption dans sa maison. Jawad a été arrêté et condamné à quatre ans et demi d’emprisonnement.
Jawad parle de ‘phases‘ lorsqu’il décrit son temps en prison. La première phase, ce sont les interrogatoires au cours desquels Jawad explique qu’il se sentait fier de garder le silence, de ne pas céder sous la pression. Il raconte qu’il a été placé dans une cellule avec d'autres prisonniers. Le soutien qu’il a reçu de ses camarades de cellule l’a amené à leur parler, cela l’aidait à supporter le stress, il se sentait comme soulagé. Puis les soldats sont revenus le chercher et Jawad a senti que quelque chose clochait. Les soldats lui posaient des questions précises, il a découvert après coup que ses codétenus n’étaient en fait que des ‘ennemis’, des collaborateurs qui l’avaient trahi. A ce moment, Jawad s’est senti abandonné. « Tout s’est effondré, je suis devenu une autre personne. »
Les moments passés en cellule d’isolement constituent la deuxième phase. Jawad a du mal à se souvenir, tout est flou, il parle surtout des cauchemars qu’il faisait, de la peur qui l’habitait. Jawad parle enfin de la troisième phase, celle où il est tombé malade. Après avoir été amené à l’hôpital de la prison, les médecins ont découvert qu’il était atteint d’une péritonite et qu’il devait être opéré d’urgence. La seule chose dont Jawad se souvient, c’est de s’être réveillé pendant l’opération et de découvrir avec effroi son abdomen ouvert et ensanglanté. Les médecins ne l’avaient pas suffisamment anesthésié. Jawad a alors perdu connaissance. Lorsqu’il s’est réveillé, allongé sur son lit d’hôpital, trois gardes armés étaient autour de lui pour le surveiller. Son mental s’est rapidement détérioré, il ne faisait pas confiance aux médecins qui voulaient l’examiner. Jawad a développé une grave dépression et s’est peu à peu complètement isolé. Lorsqu’il a été libéré, il a confié à la psychologue qu’il préférait retourner en prison plutôt que de continuer de vivre ainsi. Une semaine après l’entretien avec la psychologue, Jawad était de nouveau arrêté par la police israélienne.