« Il n’est jamais facile de satisfaire les besoins médicaux d’une population, encore moins dans un pays pauvre. Le système de santé y est précaire et la situation peut se dégrader du jour au lendemain. En tant que médecin yéménite, je pense qu’il n’y a malheureusement pas de meilleur exemple que celui de mon pays. Chaque jour, j’y observe les difficultés rencontrées par les médecins et les patients. Au Yémen vous pouvez mourir du paludisme et votre enfant de la rougeole si vous n’arrivez pas à temps à l’hôpital. Le problème, c’est qu’à cause de la guerre, il n’y a plus beaucoup d’hôpitaux », se soucie le Dr. Abdullah Ridman.
Avant que le conflit ne s’emballe en mars 2015*, le système de santé parvenait à prodiguer gratuitement des soins dans les salles d’urgence des hôpitaux publics, à fournir les médicaments nécessaires au traitement du diabète, de l’hypertension, de la tuberculose ou de la leishmaniose.
Le 15 août 2016, l’hôpital de Abs, gouvernorat de Hajjah, a été touché par une frappe aérienne de la Coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui a provoqué 19 morts et 24 blessés.
© Rawan Shaif
En quelques mois, la donne a changé. Bombardements, coupures d’électricité et manque de médicaments sont autant de difficultés qui touchent les structures médicales, toutes affectées par la guerre. Des ambulances sont prises pour cible, comme à Taiz ou Aden, et des structures médicales sont directement visées. « Ils sont nombreux à avoir perdu la vie alors qu’ils tentaient d’en sauver : comme ce chauffeur d’ambulance qui travaillait à l’hôpital Al Jomhouri de Saada et qui est mort dans une frappe aérienne, et mes collègues décédés dans la frappe aérienne qui a touché l’hôpital d’Abs », se remémore le Dr. Ridman.
Des patients découragés de se rendre à l’hôpital
Les bombardements ont aussi pour effet de dissuader les patients de se déplacer. « La peur incite particulièrement les Yéménites à rester chez eux, plutôt que d’entamer des démarches pour se rendre dans un centre de santé. Bien que sporadiques, les bombardements touchent en grande partie les routes qui demeurent risquées », détaille Homam Chahhoud, qui a passé plusieurs mois en mission avec MSF dans le gouvernorat de Saada, dans le nord. Les frappes aériennes de la Coalition menée par l’Arabie Saoudite sur cette partie du pays ont engendré un sentiment d’insécurité au sein des populations.
Le fatalisme est la forme de résilience adoptée par la population, les bombardements sont devenus leur réalité. »
Homam Chahhoud, coordinateur de projet à Saada
Le manque d’argent et le prix excessif de l’essence viennent compléter la liste des raisons empêchant tout déplacement. Ainsi chaque jour, de nombreux patients sont incapables de se rendre à l’hôpital pour se faire soigner.
Quand des patients arrivent à l’hôpital après plusieurs heures de route, ils découvrent souvent des centres de soin sans lit disponible. Des gens meurent car ils ne peuvent être admis.
Ceux qui obtiennent un lit doivent faire face à une nouvelle contrainte : trouver où loger les proches qui auraient fait la route avec eux. Souvent, l’hôtel est la seule alternative, onéreuse.
Nombreux sont ceux qui tardent à se rendre à l’hôpital et finissent par arriver dans un état plus que critique. « Une jour, une femme en cours d’accouchement est arrivée à l’hôpital après 3 heures de saignements. Seul le bébé a survécu », se souvient Homam Chahhoudau sujet d’une patiente arrivée trop tard à l’hôpital d’Haydan, dans le gouvernorat de Saada.
Un système de santé exsangue
Le coût de la vie a également subi une forte inflation depuis l’éclatement du conflit. Beaucoup ont perdu leur travail et les fonctionnaires n’ont pas reçu leurs salaires depuis août 2016. Le personnel médical dépendant du ministère de la Santé n’a ainsi pas été payé depuis des mois. Dans une telle situation, les professionnels de santé n’ont d’autre choix que de chercher de nouvelles opportunités pour subvenir aux besoins des leurs et ceux qui y parviennent sont autant de bras en moins pour le système de santé.
« Dans de telles circonstances, le système de santé ne peut pas fonctionner et sauver des vies. Le soutien de MSF, de la Croix Rouge ou de l’OMS est important, mais il ne suffit pas, il faut faire plus », alerte le Dr. Abdullah Ridman.
Le centre de traitement du choléra de MSF à Khamir, dans le gouvernorat d'Amran.
Le nombre de cas de choléra ne cesse d'augmenter. © MSF
Quotidiennement, MSF reçoit des blessés de guerre et continue de venir en aide aux plus démunis dans une trentaine de structures de soin dans le pays, notamment aux victimes de l’actuelle épidémie de choléra. « Certains patients ont la chance de trouver des centres de soin encore fonctionnels, d’être traités à temps avant que des complications ne surviennent. Mais avoir de la chance ne devrait pas être la norme. En tant que praticien, je suis extrêmement inquiet quant à la situation dans mon pays. Si ce conflit ne s’arrête pas, les patients continueront d’affluer mais restera-t-il des hôpitaux pour les accueillir ? », conclut le Dr. Abdullah Ridman.
*Au Yémen, la guerre oppose les Houthis, qui contrôlent le nord du pays avec le soutien du président déchu Saleh, aux groupes armés de la Résistance du Sud alliés au président Hadi. Autre acteur du conflit, une coalition internationale menée par l’Arabie Saoudite, qui intervient au côté des forces du sud depuis mars 2015.
Epidémie de choléra au Yémen
L’épidémie progresse de façon spectaculaire à travers le Yémen, et touchait 18 des 22 gouvernorats du pays au 19 mai, selon le ministère de la Santé et de la Population. Le nombre de cas suspects identifiés a atteint les 50 000 au 29 mai, d’après les estimations de l’OMS.
En réponse à cette épidémie, MSF a mis en place des centres et des unités de traitement du choléra dans plusieurs hôpitaux afin d’isoler les patients et de traiter ceux qui présentent des symptômes. L’organisation soutient également d’autres structures gérées par les autorités sanitaires.
Depuis le 30 mars 2017, les équipes MSF reçoivent et traitent un nombre croissant de cas de choléra et de diarrhée aqueuse aiguë dans les gouvernorats d’Amran, Hajjah, Al-Dhale, Taiz, Ibb et Sanaa. Alors qu'au 9 mai, le nombre de patients pris en charge par MSF atteignait plus de 780, ce nombre a dépassé les 5000 patients au 23 mai, puis les 12 000 au 31 mai pour atteindre les 41 479 au 18 juin.
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