Dr Akram Nafi, médecin du programme soins psychiques MSF à Gaza (suite)

« Avant la guerre je suivais en moyenne 13 patients du programme soins psychiques. Aujourd'hui j'en suis une cinquantaine. Ils vont très mal, ne mangent pas, ne dorment pas.

L'un d'entre eux, un jeune, a perdu une jambe et ses deux yeux. Avec ses amis, il avait voulu aider d'autres personnes sous un bombardement. Ils ont tous été tués, il est resté trois heures sous leurs cadavres. A l'hôpital ils ont cru qu'il était mort lui aussi, ils l'ont mis à la morgue. Sa famille a porté son deuil pendant deux jours avant d'apprendre qu'il avait survécu.

Une autre patiente a perdu ses trois fils, son mari et sa belle fille pendant la guerre. Elle a ramassé leurs morceaux et est restée trois jours enfermée avec dans une étable. Ils l'ont évacuée, mais ont refusé d'enterrer les corps et ont roulé dessus.

Comment ne pas être totalement dépressif après avoir vécu de telles choses? Même la psy pleurait en l'écoutant. MSF l'a suivie, l'a mise sous traitement, on lui a trouvé un appartement. Elle était totalement apathique, elle recommence doucement à vivre, à dormir, à ressentir le chaud ou le froid, à refaire la cuisine. Il faudra encore l'accompagner pendant des mois.

Les gens amputés sont heureux d'être en vie, mais voudraient redevenir autonomes, être équipés de prothèses et ils n'en ont pas. Comment se reconstruire?

 

 

On a tellement de problèmes à Gaza. Les matériaux de construction, les médicaments, le matériel médical, les vêtements, les chaussures, le café, les piles pour les montres...

Autant de biens qui ne sont pas autorisés à entrer du fait de l'embargo. Certains laits infantiles sont autorisés, d'autres non et de toutes façons il est très difficile de trouver des biberons. Les prix flambent, les produits laitiers mettent deux jours à renter et, à l'arrivée, sont bons à jeter.

Les frontières sont fermées et les cas médicaux urgents ne peuvent pas sortir. Avant, des camions passaient quand même, aujourd'hui la situation se complique vraiment. Et puis il y a le chômage, ça aussi c'est une conséquence de la guerre.

Avant cette guerre, je voulais quitter Gaza. Aujourd'hui, je ne partirai plus. L'équipe MSF, expatriés comme palestiniens, sont comme ma famille. On a vécu tout cela ensemble, comme des frères et sœurs. Le lien qui nous unit est particulier et rare. J'aimerais juste parfois pouvoir sortir, prendre l'air, regarder le ciel et revenir. »

Notes

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