Éthiopie : l’aide humanitaire peine à parvenir jusque dans les zones rurales du Tigré

Des femmes attendent de pouvoir bénéficier d'une consultation médicale dans une clinique mobile gérée par MSF. Région du Tigré. 2021. 
Des femmes attendent de pouvoir bénéficier d'une consultation médicale dans une clinique mobile gérée par MSF. Région du Tigré. 2021.  © Igor Barbero/MSF

En novembre 2020, des combats ont éclaté dans la région du Tigré, située dans le nord de l'Éthiopie, opposant des forces armées régionales à l’armée nationale d’Abbis-Abeba. De nombreux centres de santé sont aujourd’hui détruits ou non fonctionnels et si l’aide humanitaire s’est déployée dans les grandes villes, elle peine à parvenir jusque dans les zones rurales et montagneuses de la région. C’est pourtant là que vit une grande partie des six millions d’habitants du Tigré, qui n’a pas pu accéder à des soins de santé ces six derniers mois.

Lorsqu’une équipe MSF est arrivée à Adiftaw pour la première fois à la mi-mars, elle a découvert un poste de santé pillé et partiellement détruit. Des dossiers médicaux, du matériel cassé et des paquets de médicaments déchirés étaient éparpillés dans chaque chambre, aucun des lits n'avait de matelas et aucun personnel médical n'était présent.

Adiftaw est situé à trois heures de route au nord d’Axum, et à quelques kilomètres de la frontière érythréenne. Ce que cette équipe a découvert dans ce village n’est pas un cas isolé : cette situation a été observée par MSF dans de nombreuses localités du Tigré. Les 10 000 habitants d’Adiftaw n’ont pu recevoir aucun soin médical ces derniers mois et quand l’équipe MSF a ouvert une clinique mobile, des dizaines de personnes se sont présentées. Le personnel médical s’est alors concentré sur les enfants, les femmes enceintes et les personnes nécessitant des soins d'urgence. En une heure, les consultations de la journée étaient pleines et l’équipe devait inviter les autres patients à revenir plus tard.

L’impact du conflit

Ce village a subi de plein fouet le déchaînement de violences qui s’est abattu sur la région. Une centaine de maisons ont été incendiées ou endommagées à cause des bombardements ou des combats. Des dizaines d’habitants sont morts ou portés disparus. Certains se cachent encore dans les montagnes, quand d’autres sont revenus pour constater la destruction de leur maison, ou leur occupation par des soldats ou des personnes qui avaient fui d’autres villes. Le moulin du village ne fonctionne plus et les pompes des forages sont cassées, obligeant les habitants à utiliser l’eau de la rivière, ce qui peut engendrer des maladies.

Une femme en consultation lors d'une clinique mobile MSF dans le village d'Adiftaw. Région du Tigré. 2021.
 © Igor Barbero/MSF
Une femme en consultation lors d'une clinique mobile MSF dans le village d'Adiftaw. Région du Tigré. 2021. © Igor Barbero/MSF

« Lorsque nous sommes arrivés dans le Tigré fin 2020, nous avons constaté que le système de santé s'était presque complètement effondré, explique le coordinateur des urgences de MSF, Tommaso Santo. Une fois que nous avons mis en place un support dans les hôpitaux des grandes villes comme Adigrat, Axum et Shire, il nous a semblé essentiel d’atteindre les zones les plus reculées où les besoins des populations sont les plus grands. Actuellement, nous gérons des cliniques mobiles qui se rendent régulièrement dans près de 50 localités. »

Les équipes MSF reçoivent en consultation un grand nombre de femmes enceintes souffrant de complications médicales, notamment dues à la malnutrition. « Les taux de malnutrition aiguë modérée ont augmenté dans tout le Tigré au cours des derniers mois, détaille Tommaso Santo. La qualité et la quantité de nourriture disponible ont fortement chuté. De nombreuses familles ne font qu'un seul repas par jour, souvent uniquement composé de pain. » Certaines zones affichent également des niveaux de malnutrition aiguë sévère bien au-dessus du seuil d'urgence, notamment à la périphérie de Shire et à Sheraro. Les champs étant souvent inaccessibles aux agriculteurs, cette situation risque de perdurer.

Des services de santé détruits

Le centre de santé de la ville de Sebeya, située à une cinquantaine de kilomètres d’Adiftaw, a quant à lui été frappé par plusieurs roquettes pendant les combats. MSF a donc déployé une clinique mobile, à quelques mètres de la salle d’accouchement détruite. 

« Les services de santé étaient bons, déclare Fatimah*, une habitante de Sebeya, âgée de 27 ans et enceinte de sept mois. J'ai donné naissance à mes quatre enfants dans ce centre de santé. En cas de complications, les équipes médicales pouvaient nous transférer à l’hôpital d’Adigrat avec une ambulance, mais je n’ai jamais eu besoin d’y aller. » 40 à 50 femmes accouchaient chaque mois dans ce centre de santé. « Désormais, elles accouchent à domicile, explique Solomon*, un agent de santé. Même si l'accouchement se passe bien, les nouveau-nés risquent de mourir. Des enfants meurent de pneumonie et de malnutrition. »

Une clinique mobile MSF en préparation dans le village d'Adiftaw. Région du Tigré. 2021. 
 © Igor Barbero/MSF
Une clinique mobile MSF en préparation dans le village d'Adiftaw. Région du Tigré. 2021.  © Igor Barbero/MSF

« Nous priorisons nos domaines d’intervention, tout en élargissant nos actions, explique Tommaso Santo. Nous tentons de développer la planification familiale, les consultations prénatales, les vaccinations et d’autres services de santé, indisponibles depuis des mois. » Au cours des derniers mois, les hôpitaux soutenus par MSF dans les villes ont accueilli un nombre croissant de femmes victimes de violences sexuelles, fréquentes durant le conflit, souhaitant bénéficier d’une prise en charge et notamment d’une interruption médicale de grossesse non désirée.

Alors que de plus en plus d'organisations humanitaires se déploient dans le Tigré depuis le mois de février, la réponse sur le terrain est encore extrêmement limitée :  elle ne s'étend quasiment jamais au-delà des grandes villes. « Les populations de ces zones rurales sont souvent laissées sans assistance. Ces dernières semaines, l'accès des organisations humanitaires aux différentes zones du Tigré a été encore plus limité, déplore Tommaso Santo. Il est urgent d’intensifier l’aide humanitaire et d’élargir sa portée. »

* Le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat du témoin.

Notes

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