Urgence Gaza/Liban

Gaza : un rapport de MSF dénonce la campagne
de destruction totale menée par Israël

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Gaza : « Après un an de guerre, les Gazaouis manquent de tout »

Vues des destructions dans les rues attenantes à l'hôpital Nasser à Gaza, en mai 2024. 
Vues des destructions dans les rues attenantes à l'hôpital Nasser à Gaza, en mai 2024.    © Ben Milpas/MSF

À Gaza, après une année de guerre, on compte plus de 42 000 morts et quelque 99 000 blessés dans les bombardements de l'armée israélienne et les combats, tandis que près de deux millions de déplacés y vivent dans des conditions désastreuses. Les équipes palestiniennes et internationales de Médecins Sans Frontières (MSF) – plus de 800 personnes au total – travaillent dans plusieurs structures de santé, dont deux hôpitaux publics et deux hôpitaux de campagne. Les besoins de la population sont immenses et les équipes de MSF peinent à déployer des activités à la hauteur de l’urgence dont ils sont les témoins. En cause : le blocus de la bande de Gaza, imposé depuis 2008 par les autorités israéliennes, qui a pris depuis le début la guerre la forme d'un siège et qui limite sévèrement l’entrée de l’aide humanitaire. Isabelle Defourny, présidente de Médecins Sans Frontières, s’est rendue à Gaza début octobre et revient sur les conditions de vie sur place, les priorités de la réponse humanitaire et les limites imposées au déploiement de l'aide. 

Quelles sont les conditions de vie de la population dans la bande de Gaza ? 

L’ampleur des destructions à Gaza est extrêmement choquante. Environ 80 % des bâtiments ont été détruits et on sait par exemple que la grande majorité de nos collègues palestiniens ont perdu leur maison.  

La quasi-totalité des Gazaouis ont été forcés de fuir leur foyer pour échapper aux offensives de l’armée israélienne. Selon les Nations unies, 90 % des 2,2 millions d’habitants de Gaza ont été déplacés, souvent à plusieurs reprises. Plus d'un million de personnes s'entassent sur une bande côtière de seulement 40 km², une zone déclarée « humanitaire » par l'armée israélienne et qui a pourtant été le théâtre de nombre de ses bombardements, causant la mort de centaines de personnes. Les familles y vivent dans des conditions déplorables, certaines sous des tentes, la plupart dans des abris faits de bâches en plastique et de couvertures. Dès qu'il pleut, tout est inondé. Ces installations précaires ne résisteront pas à l'hiver qui arrive.  

Les personnes que j’ai rencontrées à Gaza demandent essentiellement des abris qui leur permettent de rester au sec. L’accès à des produits basiques comme du savon fait défaut, c’est quasiment impossible d’en trouver à Gaza. Certaines femmes m’ont raconté qu’elles s'étaient coupées les cheveux, ne pouvant plus se les laver. Il n’y a pas de système de drainage autour des tentes, les latrines sont sommaires, creusées par les familles elles-mêmes et l'accès à l’eau est également insuffisant. Dans la zone dite « humanitaire », j'ai pu voir les longues files d'attente pour se procurer quelques litres d’eau potable indispensables. Pour faire la vaisselle ou se laver, les Gazaouis doivent souvent utiliser de l’eau de mer.  

Après un an de guerre, les Gazaouis manquent de tout. Des distributions alimentaires sont effectuées, mais en quantité insuffisante, et de façon irrégulière et imprévisible, à cause des bombardements et des combats, mais aussi et surtout à cause de la pénurie organisée par les autorités israéliennes. En septembre par exemple, c’est seulement l’équivalent de 20% des distributions alimentaires gratuites qui ont pu entrer dans la bande de Gaza. Et, sur les marchés, les prix des aliments ont explosé. La plupart de nos collègues nous rapportent avoir perdu du poids au cours de cette année de guerre.  

Vue du camp de personnes déplacées d'Al Mawasi à Khan Younès, dans le sud de Gaza. Août 2024.
 © Nour Daher
Vue du camp de personnes déplacées d'Al Mawasi à Khan Younès, dans le sud de Gaza. Août 2024. © Nour Daher

La situation dans le nord de Gaza est particulièrement critique. Au cours des deux premières semaines d’octobre, aucune aide humanitaire n’est entrée dans la zone, aggravant encore les conditions de vie de la population. De nouveaux ordres d'évacuation ont été communiqués par l'armée israélienne, entraînant encore une fois des déplacements forcés. Des hôpitaux, dans lesquels des centaines de patients sont soignés, sont situés dans les zones concernées. Les bombardements ont redoublé d'intensité, de nouvelles opérations militaires au sol ont été lancées. Nous avons appris le 10 octobre le décès tragique d'un collègue, blessé par un éclat d'obus deux jours plus tôt. C'est le septième membre des équipes MSF qui meurt à Gaza depuis octobre 2023. Nos collègues sur place nous racontent avoir peur de se déplacer car ils craignent de mourir. La population de Gaza a plus que jamais besoin d’un cessez-le-feu durable.

Pourquoi l’aide humanitaire ne rentre-t-elle pas en quantité suffisante dans Gaza ? 

Il existe plusieurs obstacles à l’entrée de l’aide. Tout d’abord, pour entrer dans la bande de Gaza, tout article, bien de première nécessité, médicament, nourriture doit être autorisé par Israël qui a mis en place une série de règles administratives complexes et opaques. Par exemple, des autorisations spéciales sont nécessaires pour certains objets, considérés par les autorités israéliennes comme pouvant être utilisés à des fins militaires. Cela peut toucher le matériel du quotidien, comme une paire de ciseaux pour couper des bandages, des générateurs ou encore des stérilisateurs. Ce processus bureaucratique ralentit et limite massivement l’entrée de l’aide dans Gaza.  

Ensuite, il n’existe qu’un seul point de passage dans le sud de la bande de Gaza : celui de Kerem Shalom où là aussi, les contrôles des camions prennent du temps et limitent à nouveau les quantités qui entrent dans Gaza. Lorsque les camions réussissent enfin à rentrer, ils sont régulièrement pillés : 30 à 50 % de l'aide serait détournée et ne parviendrait pas aux habitants de Gaza. Cette situation est la conséquence de plusieurs facteurs, notamment l'ampleur des pénuries, mais aussi l'élimination des forces palestiniennes de maintien de l'ordre à Gaza : la police a par exemple été ciblée dès le début du conflit par l'armée israélienne. 

C’est une situation exceptionnelle pour MSF : nous avons accès à la population, nos équipes nationales et internationales sont prêtes à travailler, les besoins sont immenses, mais nous ne pouvons pas déployer d’interventions d’ampleur en raison des blocages de l’aide.  

L'aide humanitaire n'est pas à la hauteur de l'urgence dont nous sommes témoins. Il faut que les organisations humanitaires puissent être en mesure de travailler pour faire face à une situation humanitaire catastrophique, d'une gravité rare dans l'histoire de MSF. 

Nos équipes ont ouvert deux hôpitaux de campagne, chacun disposant d’une capacité d’hospitalisation de 110 lits, une goutte d’eau lorsqu’on pense aux près de 100 000 blessés de guerre actuellement à Gaza. Pourtant, dans ces deux structures, lors de ma visite, seulement 20 patients étaient hospitalisés. L’obstacle principal à l’ouverture de lits supplémentaires reste la lenteur de l’approvisionnement en matériel médical et en médicaments. 

Quels sont les principaux besoins médicaux ?  

La prise en charge des blessés de guerre est une priorité. Etant donné leur nombre, cela demanderait un effort médical et humanitaire colossal même si le système de santé fonctionnait correctement. Or nous assistons depuis un an à son démantèlement progressif de la part de l'armée israélienne, et aujourd’hui, seuls 17 hôpitaux sur 36 sont encore partiellement opérationnels. 

Vue d'un camp de personnes déplacées à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Mars 2024.
 © Mariam Abu Dagga/MSF
Vue d'un camp de personnes déplacées à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Mars 2024. © Mariam Abu Dagga/MSF

Nombreux sont les blessés qui vont avoir besoin de soins longs et complexes, notamment les personnes brûlées. À ce jour, le Comité International de la Croix Rouge estime à 7 000 le nombre de personnes amputées, dont 15 % auraient besoin de nouvelles interventions chirurgicales pour être appareillées. Les malades souffrant de pathologies chroniques sont aussi une priorité médicale, car beaucoup ont dû interrompre leur traitement. Les cancers ne sont par exemple plus pris en charge à Gaza et ce sont seulement 2 000 à 3 000 personnes atteintes de la maladie qui ont pu être évacuées à l’étranger. Avec l’arrivée de l’hiver, nous sommes également préoccupés par la santé des enfants, particulièrement vulnérables au froid et aux conditions de vie précaires. Augmenter le nombre de lits en pédiatrie est aussi une priorité.  

Seuls 6 000 Gazaouis ont bénéficié d’une évacuation médicale jusqu’à présent [octobre 2024]. Ces évacuations, qui se faisaient dans un premier temps par le point de passage de Rafah, aujourd'hui fermé, se font désormais par le point de passage de Kerem Shalom et permettent d’évacuer des patients via l’Égypte vers la Jordanie, les Émirats arabes unis, mais aussi le Qatar et la Turquie. Cependant, les autorisations sont accordées au compte-goutte par les autorités israéliennes, à l’issue d’un processus long et encore une fois opaque.  

Que demande MSF ?  

La population de Gaza a besoin sans délai d’une aide humanitaire à la hauteur de l’urgence actuelle, avec l’ouverture de points de passage supplémentaires vers la bande de Gaza, comme l’a ordonné la Cour internationale de justice (CIJ) en mai 2024. 

Les États alliés d’Israël – parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Australie ou l’Allemagne – sont complices des massacres auxquels nous assistons depuis le début de cette guerre. Plutôt que de condamner mollement les conséquences de cette guerre, ils doivent user de toute urgence de leur influence – diplomatique et militaire – pour mettre un terme à ces offensives contre la population de Gaza et pour obtenir une aide massive, avant l’hiver. Beaucoup d’États occidentaux n'ont pas hésité ces dernières années à parler de crimes de guerre, de nettoyage ethnique ou de génocide, par exemple à l'encontre des Rohingyas au Myanmar ou des Yézidis en Irak, mais s'abstiennent d'utiliser de tels termes pour les Palestiniens de Gaza, et ce alors que ce risque a été identifié depuis le mois de janvier par la CIJ, et que la situation n'a cessé d'empirer depuis. Cette duplicité et cette hypocrisie sont choquantes. 

Notes

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