Peux tu nous décrire la situation actuelle à Gaza ?
C’est un territoire en crise. L’économie est paralysée.
Pendant 2 ans, Israël a étroitement contrôlé les points d’entrée. Cela a eu un
sérieux impact sur les conditions de vie des populations. Les importations de
nourriture, de matériel médical et d’autres biens indispensables comme le
carburant, sont entravées. Or 80% de la population survit grâce à l’aide
alimentaire. L’inflation est galopante, le chômage croissant et le pouvoir
d’achat de plus en plus restreint. Les exportations, notamment agricoles, sont
réduites à néant. Les produits sont alors écoulés sur le marché local, à
moindre prix, à une population qui ne peut pas les acheter.
Les conséquences sur la santé sont problématiques. Seuls 50%
des foyers ont accès à 4 à 6 heures d’eau courante par jour et il y a seulement
12 heures d’électricité quotidiennes. Les réserves s’épuisent. Le chlore,
considéré comme un « composant chimique suspect », vient d’être
retiré de la liste des matériaux autorisés à rentrer à Gaza. Les usines de
traitement ne peuvent plus fonctionner et la population doit faire bouillir
l’eau avant de la consommer.
C’est très difficile quand il n’y a plus
d’électricité ou de gaz domestique. Les usines d’évacuation des eaux usées
sont, faute de carburant, dans l’incapacité de tourner à plein régime. Chaque
jour, des centaines de milliers de litres d’eaux usées sont directement
déversés dans la mer Méditerranée.
Y-a-t-il d’autres raisons à cette crise ?
Les rivalités inter-palestiniennes, les affrontements politiques,
familiaux, entre clans, se répercutent sur tous les niveaux de la
société et le système de santé n’y échappe pas.
La rivalité entre les deux ministères de la Santé
palestiniens est contre-productive : retard de paiement des salaires,
retard voire annulation des approvisionnements. Ainsi, l’hôpital Al Awda a
attendu pratiquement un an avant de recevoir le matériel nécessaire pour monter
son unité de soins intensifs (USI). L’hôpital Kamal Edwan rencontre les mêmes
difficultés pour mettre en place son service de néonatalogie.
Gaza est un territoire en crise. L’économie est paralysée. Cela a
un sérieux impact sur les conditions de vie des populations.
Le licenciement de personnels affiliées au Fatah est monnaie
courante, même parmi les directeurs d’hôpitaux et les chefs de service. Les
grèves de protestation qui en découlent paralysent davantage le système de
santé. La plupart des patients « Fatah » ne peuvent ou ne veulent pas
se rendre dans les structures de santé gérées par le Hamas et beaucoup de
cliniques dirigées par le Fatah ont été contraintes à la fermeture.
La paupérisation croissante limite l’accès aux soins. Les possibilités
de transfert de patients dans les pays voisins (Israël, Jordanie ou Egypte)
sont très limitées depuis la prise de pouvoir du Hamas. On estime à au moins
110 personnes le nombre de patients décédés pour cette raison. Malheureusement,
la santé est un point d’affrontement supplémentaire dans les conflits
inter-palestiniens comme israélo-palestinien.
Les équipes de terrain évaluent régulièrement la situation
et les besoins médicaux. Que constatent-elles ?
Les pénuries matérielles chroniques concernent
l’approvisionnement en médicaments (pour les soins vitaux mais aussi
pour le traitement des pathologies communes), le matériel médical et chirurgical, les pièces de rechange et les
sources d’énergie. Début mars, l’équivalent d’un mois de stock de médicaments
pour les soins vitaux a été utilisé en seulement 4 jours. Sur les 57 ambulances
habituellement en circulation, 23 ne tournent plus, faute de carburant et de
pièces détachées.
Tu étais à Gaza fin 2006 – début 2007. Quelle était la
situation ? Qu’est-ce qui a changé entre tes deux missions ?
Ce qui m’a le plus frappé depuis que je suis revenu, c’est
le niveau accru de violence. Le conflit israélo-palestinien est encore plus
tendu (tirs de roquettes palestiniennes, représailles et incursions
israéliennes massives quasi quotidiennes) et les affrontements
inter-palestiniens se sont intensifiés. Les manifestations de
mécontentement de la population sont devenues ordinaires et la désorganisation
sociale est de plus en plus critique.
Dans quelle mesure, les événements de début mars ont-ils
aggravé cette situation ?
Les blocs opératoires et les unités de soins intensifs, au maximum de leur
capacité d’accueil, ont assuré la majorité des soins vitaux. Les opérations de
chirurgie programmables ont été suspendues. Avec les pénuries, c’est
devenu une habitude forcée à Gaza.
Ici, ce type de problème est chronique. Les hôpitaux et
les centres de santé subissent une importante pression face à la masse des
besoins. Très peu équipés, ils ne seront pas en mesure de faire face à
davantage de demandes.
Cependant, l’augmentation du volume de nos activités, l'expansion et la diversification de nos programmes sont encourageants. Des efforts
considérables et gratifiants ont été fournis pour mettre en place nos cliniques
de soins post-opératoires. On espère pouvoir ouvrir notre programme pédiatrique
de Beit Lahiya dans les semaines à venir.