Ghada Massad, assistante sociale pour le programme de santé mentale MSF à Gaza (suite)

« Les uns après les autres, les enfants se sont manifestés. Tout le monde était vivant, mais trois voisins étaient blessés. Il y avait du sang et de la poussière partout. On a décidé de sortir : « de toutes façons, ils vont nous tuer ».

La porte était bloquée, l'escalier était ciblé par les chars, nous en avons pris un autre. Il y avait un homme mort, en travers des marches. Nous l'avons couvert : « il dort » ai-je dit aux enfants, nous l'avons enjambé. Nous avions recouvert nos nez et nos bouches pour ne pas respirer le phosphore. Un mouchoir blanc dans chaque main tenait lieu de drapeau blanc.

Ma famille était la première à passer, les chars ont cessé de tirer, mais ils se sont rapprochés très près de nous, à deux mètres, c'était terrifiant... Et ils ont tiré, une femme a été touchée derrière nous, j'ai interdit aux enfants de se retourner, de regarder en arrière : « avancez ou nous allons mourir ! »

Nous sommes arrivés à la clinique de soins post opératoires. Personne n'avait été blessé. Nous avons eu tellement de chance ! Les enfants ont commencé à jouer au ballon et j'ai pleuré, je ne les avais pas vus jouer depuis si longtemps...

Nous sommes restés quatre jours là bas, jusqu'à la fin de la guerre, puis nous sommes rentrés et avons tout nettoyé. Le soir même, les enfants dormaient dans leur chambre.

Le petit ne veut plus jouer avec ses pistolets en plastique, il demande souvent si cela va recommencer.

Je leur ai rapporté des chars, des soldats, des maisons en plastique. Ils se sont défoulés, ont marché dessus et il fallait les laisser ainsi, à terre. Celui de dix ans a arraché le bras d'un soldat, « pour qu'il ne puisse plus porter d'arme ».

Ils peuvent être fiers d'eux et de leur courage. Ils vont bien maintenant, ils sont premiers de leurs classes. Je n'en reviens toujours pas que l'on soit vivants. Je parle de tout cela quand on me le demande, mais jamais de moi-même, on n'en parle plus entre nous.

Nous voudrions tous quitter Gaza et vivre paisiblement. Toute la population en est au même point. Les patients MSF sont très démunis. Leurs maisons ont été détruites, ils n'ont plus d'endroit sûr où vivre. Ils ont perdu des proches, des enfants pour certains. Ils n'ont pas d'argent pour acheter des choses basiques comme la nourriture, les vêtements. Les hommes sont morts ou gravement blessés, handicapés. Ils ne gagnent plus de salaire.

Je travaille plus et plus fort, je me démène pour nos patients, je fais tout mon possible, sinon je ne me le pardonne pas.

Je suis devenue plus sensible qu'avant. J'avais déjà de l'empathie, aujourd'hui je sais que je pourrais être l'un d'entre eux, que je pourrais être comme cette pauvre femme qui a perdu son mari, ses enfants et qui vit dans les ruines de sa maison.

Comment l'aider à surmonter son traumatisme lorsque chaque recoin de ce qui reste de sa maison lui rappelle ce qu'elle a perdu et l'horreur de ces souvenirs ? Elle a peur, tout le temps, elle ne le supporte plus. Je travaille plus et plus fort, je me démène pour eux, je fais tout mon possible, sinon je ne me le pardonne pas.

Ca a été beaucoup de souffrance, mais je crois aujourd'hui que ce moment horrible de nos vies nous a construits. Quand ils ne vous cassent pas, les moments difficiles rendent les gens plus forts et, avec des cœurs emplis de bienveillance, on peut tous être forts, tendre la main à travers le monde et se soutenir les uns et les autres pour construire, ensemble, la paix pour tous et partout.

Je crois que la vie est un splendide cadeau fait par Dieu aux êtres humains. A nous de le rester et d'agir autant que faire se peut comme tels et non comme des machines de guerre. »

Notes

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