Huit années de « journée chirurgicale »

Amman Jordanie. Octobre 2008
Amman, Jordanie. Octobre 2008 © Valerie Babize / MSF

Le Dr François Boillot, référent chirurgien à MSF, revient sur les huit années de « Journées chirurgicales ». Bilan, retour d’expériences et positionnements sur nos activités chirurgicales et anesthésiques sur le terrain.

Au début, il s'agissait de fournir aux chirurgiens et aux anesthésistes intervenant en situations précaires un lieu et un moment où parler chirurgie ou anesthésie, plus précisément de technique.

MSF, comme le CICR, étaient alors les deux grandes ONG qui pratiquaient la chirurgie depuis longtemps et ils nous semblaient que nous avions des choses à dire, et pas forcément d'ailleurs celles dont parlait le CICR.

Cette dernière organisation, qui est en fait notre grande sœur, a acquis au fils de ses expériences et de sa rigueur une expérience unique en matière de chirurgie de guerre. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avions, à la toute première réunion, invité Couplan en « spécial guest ».

Je me souviens très bien du débat d'alors entre amateurisme, au sens non péjoratif du terme et professionnalisme.

Nous étions tous amateurs dans le sens ou nous avions tous un emploi de chirurgien ou d'anesthésiste dans un hôpital et nous partions quand nous en avions le temps entre notre vie de famille et notre vie professionnelle et souvent sur nos vacances, nous revendiquions même cet amateurisme.

Bien sûr, ce mode de fonctionnement, le volontariat, reste l'essence de MSF, mais nous nous conduisons maintenant avec plus de professionnalisme. Non pas qu'il existe une chirurgie humanitaire d'un coté et une chirurgie pour pays développés de l'autre, mais nous nous sommes mis à réfléchir sur la façon de mieux opérer, de nous améliorer, d'avoir de meilleurs résultats dans les pays où nous travaillons, bref de mettre en commun nos expériences.

Nous nous sommes mis à réfléchir sur la façon de mieux opérer, de nous améliorer, d'avoir de meilleurs résultats dans les pays où nous travaillons.

Il nous fallait réfléchir aux techniques les plus adaptées dans le contexte où nous travaillons. « Tout a été écrit mais tout n'a pas été lu » : souvent les techniques anciennes sont devenues plus adaptées mais ce n'est pas toujours le cas et nous le verrons aujourd'hui : certaines techniques tout juste introduites se révèlent très prometteuses dans les terrains ou nous travaillons. J'utilise souvent la métaphore du téléphone : certains pays, en particulier l'Est de la RDC ont fait l'économie du filaire pour passer directement au sans fils.
Enfin, il fallait aussi contrôler ce que nous faisions : la mise en place certes laborieuse d'un recueil de données nous est vite apparue comme indispensable.


Et puis comme souvent nos objectifs ont évolué. Les années passent et d'autres objectifs nous sont apparus aussi importants que les aspects techniques de notre métier.

Le premier est l'importance des relations entre collègues. La construction de réseaux est certainement la base de l'action dans le monde de la chirurgie humanitaire (d'où l'importance du temps consacré au repas et le choix d'un lieu unique, alors qu'auparavant nous allions dans la ville).

Le second est l'information chirurgicale sur ce qu'on appelle les passerelles. Nous invitons des universitaires qui, parfois, d'ailleurs n'ont pas d'expérience humanitaire, mais dont certaines connaissances plus pointues peuvent nous servir sur le terrain. L'introduction de l'EBS, evidence based surgery entre dans cet objectif : On a montré que ce mode de pratique, l'EBS, est « cost effectif ».

Il doit permettre en plus la considération du patient, ce dernier point est particulièrement vrai dans notre pratique où souvent la communication avec le patient est réduite : problème de langue, de disponibilité, de compréhension du traitement, etc. Je dirais même que la plupart des décisions chirurgicales que nous prenons se font sans en informer les patients.

Le troisième et, à mon sens le principal, est d'offrir à nos collègues d'outre-mer une tribune. Il existe très peu de réunions de ce type où nos collègues chirurgiens et anesthésistes qui travaillent avec nous peuvent s'exprimer, faire valoir leur expérience qui est souvent immense.

Il est certain que les communications ne suivent pas forcément les conventions de Vancouver mais on connaît la difficulté du recueil de données sur le terrain. Nous restons intimement persuadés que la solution du manque de chirurgiens sur le terrain passe par la reconnaissance de nos collègues locaux et par la reconnaissance de leur travail.

Je voulais citer le cas de pathologie qui n'existent plus chez nous mais restent endémiques sur les terrains : le cas le plus illustratif est la cure chirurgicale des fistules vésico-vaginales. On peut dire que les deusx plus grands centres mondiaux se situent l'un au Nigéria, l'autre en Ethiopie.

A ce titre, je voulais juste citer le cas de pathologies qui n'existent pratiquement plus chez nous mais qui sont endémiques voire épidémiques sur les terrains : le cas le plus illustratif est la cure chirurgicale des fistules vésico-vaginales. On peut dire que les deux plus grands centres mondiaux se situent l'un en Éthiopie, l'autre au Nigeria, on peut étendre ce raisonnement à des pathologies telle que les séquelles de poliomyélites, l'ulcère de Burili, etc.

Le quatrième objectif est l'extension du public aux personnes non chirurgicales (par exemple aux infirmiers de bloc, IADE, manageur, gestionnaire, log etc.) la bonne tenue des programmes chirurgicaux est due avant tout à la cohésion d'une équipe. Dans cette équipe interviennent non seulement des chirurgiens et des anesthésistes, mais aussi des logisticiens, des pharmaciens, des infirmières de blocs, des infirmières anesthésiques.

Le cinquième objectif est l'aspect pratique, c'est la raison d'être des ateliers de chirurgie où nous avons parlé de fixateur externe, de radiographies en situations précaires, de lambeaux de couverture des membres. La demande pour une formation spécifique est très forte de la part de nos volontaires. Que ce soit de la part d'orthopédistes qui ont oublié la technique de la césarienne ou de chirurgiens viscéraux qui veulent savoir mettre un fixateur externe ou couvrir une perte de substance aux membres inférieurs.

L'idée d'une préparation au départ, intersectionnelle, pour les chirurgiens fait son chemin, elle demeure en pratique difficile à organiser et probablement onéreuse. Elle nécessite d'identifier un lieu de préférence hospitalo-universitaire où nous pourrions entraîner ou former nos chirurgiens aux techniques qu'ils ne maîtrisent pas. Mais quand on sait que par exemple la courbe d'apprentissage pour certaines interventions est de plus de 50, on comprend aisément la difficulté pratique d'une telle formation.

Enfin le dernier objectif et le plus ambitieux serait de constituer une liste des interventions indispensables, sur le modèle de la liste des médicaments indispensables qui permettrait de proposer à chaque population dans le monde une prise en charge minimale, de qualité. Non seulement de la proposer mais de participer activement à sa mise en place.

Avons-nous rempli nos objectifs ?

Pour certains, la réponse est oui. Je pense au premier, la rencontre entre collègues.
Pour d'autres partiellement seulement : l'introduction de techniques nouvelles sur nos terrains se fait discrètement mais sûrement.

Le recueil de donnés fonctionne bien. Nous pouvons désormais quantifier notre activité, la qualifier plus difficilement, et ce recueil est encore trop dépendant de la bonne volonté des terrains et de la pugnacité de certains au siège pour récupérer les données.

Pour d'autres encore non. La survie d'une expertise des pathologies « exotiques » n'est pas garantie, nos collègues sont souvent absents des grandes réunions scientifiques, plus du tiers de la population mondiale n'a pas accès aux soins chirurgicaux.

Notes

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