28 expatriés sont arrivés ces derniers jours à Paris et à Amsterdam après l'expulsion du Nord-Soudan des sections française et hollandaise de MSF. Ces deux sections représentaient à elles seules la moitié des effectifs de l'organisation au Darfour.
Chacun exprime une inquiétude pour l'avenir de ceux avec lesquels et pour lesquels ils ont travaillé pendant des semaines ou des mois et de l'incompréhension face à cette décision des autorités soudanaises.
« Je ne comprends pas, j'ai encore du mal à croire que c'est réel », soupire Eric Jeunot, qui a été pendant sept mois responsable des activités MSF à Zalingei, dans l'Ouest Darfour.
MSF apportait une aide médicale depuis décembre 2003 dans cette ville de 130 000 personnes dont plus de 100 000 déplacés.
« Je réalise à peine, quand je pense aux dizaines de patients qui venaient chaque jour en consultation dans la clinique du camp de déplacés d'Hassa Hissa, qui vont trouver la porte fermée. Nous avions aussi deux cliniques nutritionnelles pour les enfants sévèrement malnutris.
Et à l'hôpital, les soins étaient gratuits dans les services où nous travaillions, ils risquent de devenir payants, pour une population qui n'a pas les moyens. Sans compter que le personnel médical, qui ne recevra plus de primes de notre part, risque d'être moins motivé pour continuer à travailler dans cet hôpital. »
Impuissance. Les difficultés sont déjà là. Pauline Busson, responsable des activités MSF à Niertiti, a reçu un appel à l'aide du personnel local de l'équipe :
« Ils m'ont dit : nous n'avons plus d'argent pour nourrir les patients hospitalisés, nous ne pouvons plus payer le transport pour ceux qui ont besoin d'aller à Zalingei pour de la chirurgie ou des césariennes ni pour les malades atteints de méningite qui doivent venir le plus vite possible à Niertiti. J'ai écouté, mais que puis-je répondre ? Je suis totalement impuissante ! Alors je leur ai dit d'aller voir les autorités locales. Maintenant, c'est leur responsabilité, MSF ne peux plus rien faire. »
Après l'expulsion de MSF de Niertiti, il ne reste plus qu'un seul médecin et 4 infirmiers pour faire face alors que les activités de MSF couvraient les besoins d'une population de 80 000 personnes environ. Une campagne de vaccination contre la méningite, nécessaire en urgence face à l'épidémie en cours, était en préparation.
Inquiétude. Dans le camp de Kalma, la vaccination devait débuter samedi 7 mars, alors que la méningite est déclarée dans ce camp de 90 000 personnes déplacées. « C'est un désastre absolu », constate Lydia Geirsdottir, qui a passé neuf mois là-bas pour coordonner les projets de MSF dans le camp.
« Il n'y a plus de traitement pour les malades atteints de méningite, plus de possibilités de les référer vers l'hôpital de Nyala, plus de campagne de vaccination. Cela veut dire que des personnes risquent de mourir. »
« Monter dans un hélicoptère en sachant que vous laissez des milliers de personnes sans accès aux soins est un crève-cœur. C'est la chose la plus difficile que j'ai eu à faire dans ma vie », confie Vanessa Cramond, une infirmière qui a travaillé dans l'hôpital de Muhajariya pendant ces neuf derniers mois.
Muhajariya est une grande ville au Sud Darfour où MSF travaillait dans un hôpital et apportait des soins médicaux à environ 70 000 personnes dans la ville et les environs.
« En janvier dernier, nous avons dû évacuer une partie importante du personnel pendant six semaines à cause de l'insécurité dans cette zone et nous n'étions de retour à Muhajariya que depuis deux semaines quand nous avons été expulsés.
Quand nous sommes partis la semaine dernière, nous recevions entre 100 et 150 patients par jour pour les consultations et de plus en plus d'enfants malnutris. Nous avons admis 21 enfants sévèrement malnutris en une semaine, alors que la moyenne habituelle était de 3 à 4 par mois. Ces personnes que nous soignions n'ont maintenant plus personne pour traiter les maladies les plus simples.»
Dans une région où plus d'un tiers de la population est déplacée, l'aide humanitaire avait jusqu'ici permis de maintenir l'état sanitaire des populations à un niveau globalement stable. « Malgré toutes les difficultés, la situation n'était pas catastrophique », explique Emanuela Bertoli, coordinatrice médicale MSF.
« Dans les hôpitaux et les cliniques où nous travaillions, seuls ou en collaboration avec le ministère de la Santé, le taux de mortalité était inférieur à 4%, ce qui est mieux que dans de nombreux hôpitaux d'autres pays africains. Nous arrivions à maintenir une bonne qualité des soins pour une population exposée à de nombreuses formes de violence, ainsi qu'à des épidémies. Nous sommes tous extrêmement inquiets maintenant.»
Frustration. Le départ précipité et l'annonce de l'expulsion alors que les équipes avaient déjà dû évacuer laisse aussi un sentiment de frustration. Eric Jeunot a quitté Zalingei il y a une semaine, le mardi 3 mars.
« Les autorités soudanaises ont demandé au personnel international d'évacuer Zalingei, ainsi que plusieurs autres localités, en nous disant qu'ils ne pouvaient pas assurer notre sécurité. Ni moi ni aucune des 11 personnes de mon équipe qui ont dû partir n'étions inquiets, nous avions informé les autorités locales de notre souhait de rester pour éviter l'absence de personnel médical essentiel. »
Contrainte de se plier à cette décision, l'équipe a évacué sur Khartoum. « Notre souci à ce moment-là portait sur le délai, nous étions certains d'être de retour, mais nous avions peur de ne pas pouvoir revenir avant plusieurs jours, deux semaines au plus. » précise Eric.
Incompréhension. Mais après l'annonce de la Cour pénale internationale du mandat d'arrêt visant le président soudanais, Omar El-Béchir, Eric apprend que cette évacuation devient une expulsion. « Je n'ai pas pu aller voir les patients pour leur expliquer pourquoi nous partions, je n'ai pas pu licencier directement, en face, les 120 personnes qui travaillaient avec nous, certaines depuis cinq ans. Je n'ai pas pu annoncer au directeur de l'hôpital qui comptait sur MSF que nous étions contraints de tout arrêter » regrette Eric Jeunot.
« J'ai le sentiment d'avoir abandonné des gens envers lesquels j'avais des engagements. Au niveau local tout se passait bien, il y avait une bonne coopération. Tout ceci n'a pas de sens.»