Après avoir travaillé à l’hôpital Nasser à Khan Younis et à l’hôpital de campagne de Deir-al-Balah, comment décrirais-tu l’état des patients que tu y as rencontrés ?
La souffrance psychologique à Gaza est immense. Les adultes comme les enfants sont à bout. Après plus d’un an à redouter la mort à chaque instant, ils n’en peuvent plus. L’incertitude actuelle ne fait qu’aggraver les choses. Je vois des enfants qui s’arrachent les cheveux, se mordent, deviennent agités en permanence ou au contraire, s’enferment totalement, comme si le monde extérieur n’existait plus.
Il y a une petite fille dont je me souviendrai toute ma vie. Sa mère l’appelle « le koala », parce qu’elle s’accroche à elle sans jamais la lâcher. Elle a trois ans, des boucles magnifiques et de grands yeux curieux. Mais dès qu’on l’approche, elle recule, terrorisée, et s’agrippe encore plus fort à sa mère.
Elle vivait dans le nord de Gaza. Elle a survécu aux bombes, mais elle a été blessée. Puis, il n’y avait plus assez de nourriture. Sa petite sœur, âgée d’un an et deux mois, est morte de faim sous ses yeux. Depuis, cette fillette refuse de quitter sa mère, ni pour dormir, ni pour jouer, ni pour découvrir le monde.
Voilà ce que fait la guerre aux enfants. Elle leur vole tout : leur insouciance, leur enfance, leur capacité à explorer, à se faire des amis, à rire. Tout ce qui forge un être humain est en train de leur être arraché. Et ces blessures, elles ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Elles resteront gravées en eux toute leur vie.