Nous venions de conclure l’opération de sauvetage. J’étais retourné à bord du navire et avais entamé mon tour habituel auprès des passagers, échangeant quelques mots avec eux. C’est ainsi que j’ai rencontré Jonathan, jeune Nigérian de 17 ans.
J’ai tout de suite remarqué la grande cicatrice qu’il avait sur le poignet. Nous avons commencé à discuter de tout et de rien : de la Coupe africaine des nations à sa traversée de la Méditerranée... C’est comme ça qu’il a commencé à me raconter son histoire.
« C’est une longue histoire », m’a-t-il dit. « Ce que j’ai vécu est inimaginable pour un garçon de mon âge. »
Progressivement, Jonathan a commencé à s’ouvrir. Il n’avait malheureusement pas pu étudier car sa famille était trop pauvre. Il avait grandi presque sans mère et son père était décédé un an plus tôt.
« J’étais déjà parti lorsque mon père est mort. J’étais au Maroc. J’ai quitté le Nigéria il y a trois ans et sept mois. J’ai tenté de survivre en vendant des tomates, mais j’ai fini par craquer. »
Il a suivi l’exemple de certains de ses compatriotes qui ont quitté le Maroc pour se rendre en Libye. C’est alors que s’est ouverte une terrible page de sa vie.
Jonathan porte encore les stigmates de sa captivité © Antony Jean
« Je suis allé à Sabratha, où j’ai commencé à travailler en tant que porteur. Mais très vite, je me suis retrouvé dans un enfer sans fin. Un jour, j’ai été agressé et volé en pleine rue. Mes agresseurs m’ont kidnappé et retenu en otage pendant près de deux mois. »
Les larmes aux yeux, Jonathan racontait son histoire les yeux dans le vide, l’air perdu. Il a poussé un soupir, s’arrêtant soudainement de parler, avant de reprendre avec plus de vigueur : « Ils m’ont emmené dans une maison avec une grande cour. Ils m’ont enfermé dans une salle où nous étions environ soixante. Nous pouvions à peine respirer car il n’y avait qu’une petite fenêtre. »
« Ils avaient tous des kalachnikovs, ils sont entrés dans la salle, ont emmené certains d’entre nous et commencé à nous battre. Plus nous criions fort, plus ils nous battaient. Parfois, ils tiraient en l’air pour nous effrayer. Ils demandaient de l’argent et si nous n’en avions pas, nous savions que nous étions foutus ! »
J’écoutais Jonathan et essayais d’imaginer ce qu’il avait traversé, mais j’ai compris que je n’y arriverais pas.
L'une des chevilles de Jonathan porte elle aussi les traces des violences qu'ils a subies © Antony Jean
« Ils ont continué de me battre tous les deux jours, avec les mains, la crosse de leurs pistolets ou des matraques. Puis, ils ont commencé à accroître l’intensité de leurs mauvais traitements, me brûlant d’abord avec des cigarettes, puis au chalumeau. Vous ne pouvez pas vous défendre, votre seul moyen de défense, ce sont vos larmes. »
Après quelques minutes, Jonathan a retroussé les manches de son survêtement et regardé les cicatrices qu’il avait sur les poignets. Il est resté comme cela un long moment avant de se tourner vers moi.
« Un jour, probablement le pire de ma vie après celui du décès de ma mère, je ne les avais pas vus arriver et ils ont commencé à me frapper. Je me suis retrouvé au sol. Ils avaient attaché mes poignets et mes chevilles avec un câble en fer. C’était trop serré. J’étais une proie facile pour leur soif de sang, ils m’ont battu et brûlé à n’en plus finir. »
Alors qu’il me racontait ce qui s’était passé, il m’a montré ses cicatrices sur tout le corps.
Jonathan est ainsi resté assis quelques heures, et même s’il était désormais en sécurité sur notre navire, il continuait de souffrir. Il avait des problèmes à la cheville gauche et marchait difficilement.
Cette histoire n’est qu’un fragment de tout ce que l’on entend lors des opérations de sauvetage à bord de l’Aquarius. Une chronique de la vie ordinaire à bord de ce navire.