Mohammed, 41 ans, est chirurgien généraliste. Depuis 2006, il travaillait dans le district d’Al-Safirah dans le gouvernorat d’Alep : le matin dans un hôpital public et l’après-midi dans sa clinique privée.
« Avant 2011, la vie était belle, le travail se passait bien. Je travaillais dur et une fois mes journées terminées, j’aimais aller voir mes amis tout autour d’Alep. »
Mais quand le conflit a éclaté dans la région d’Alep, Mohammed s’est retrouvé dans sa clinique au milieu de la bataille. « Ma clinique était à proximité de trois endroits stratégiques dont voulaient s’emparer plusieurs groupes. J’ai été bloqué pendant huit mois, dans l’incapacité de quitter ma clinique pour Alep ou n’importe où ailleurs, il y avait des snipers tout autour.
Quand Al-Safirah a été bombardé avec des barils d’explosif, il y avait des corps démembrés et du sang partout dans les rues. Je travaillais jusque tard dans la nuit. Des hommes, des femmes et des enfants chargés sur des carrioles arrivaient jusqu’à ma clinique, certains n’avaient plus de jambes, plus de bras, plus d’yeux. Notre équipement chirurgical était très basique, nous ne pouvions pas faire d’anesthésie générale. Nous étions juste trois médecins, moi-même et deux pédiatres, mais les gens du voisinage nous ont beaucoup aidés. »
Avec les combats incessants tous les jours, il y a eu un exode de la population d’Al-Safirah. Mohammed a réussi à sauver sa vie, en fuyant sous les tirs. « Nous avons fui alors que des bombes tombaient. Ce jour-là, ma clinique a été touchée et détruite. Je me suis réfugié à 12 km de la ville et ai monté un petit hôpital de campagne. Même si nous avions un bon stock de médicaments et du matériel médical, j’étais le seul médecin. Il n’y avait pas d’infirmières, seulement des jeunes parmi les voisins qui nous aidaient. Nous avons travaillé dur, mais il y avait des combats et des enlèvements, et des barils d’explosif qui tombaient du ciel. Nous étions pris entre deux feux. Je me suis promis de continuer à travailler et de rester jusqu’à la fin. Je n’avais pas peur des avions, mais j’étais le seul Kurde dans la région et les Kurdes étaient ciblés. »
Mohammed a décidé de partir en janvier 2014 quand le risque d’enlèvement était devenu trop grand. Là encore il est parti juste à temps. « Le lendemain du jour où je suis parti, l’hôpital de campagne a été bombardé, des barils d’explosifs sont tombés dessus. Tout a été détruit. Les médicaments qu’il y avait auraient pu servir à un hôpital entier. ».
Il se souvient qu’il a dû faire un long et périlleux voyage en traversant les régions d’Ar-Raqqah et d’Al-Hassakah, passer de très nombreux barrages sur les routes où il devait dissimuler son identité jusqu’à ce qu’il arrive à la ville de Quamishli. Là il a tenté trois fois de passer la frontière, mais elle était fermée. Il a dû marcher pendant 11 heures dans des montagnes et des vallées pour aller de Quamishli à un autre endroit près de la frontière d’où il a pu finalement quitter la Syrie.
Une fois installé dans le camp de réfugiés de Darashakran, Mohammed s’est démené pour continuer à pratiquer comme médecin. Il a travaillé deux semaines comme peintre dans le camp. Puis un jour, alors qu’il marchait dans le camp assez déprimé, les choses ont changé pour lui. « J’avais perdu espoir. Je pensais à mon prochain chantier de peinture quand j’ai rencontré par chance dans le camp des expatriés MSF. Ils m’ont dit qu’ils ouvraient un dispensaire dans le camp de Kawargosk et que je devais me présenter. J’avais entendu parler de MSF avant et j’avais rêvé dans le passé de travailler avec eux. »
Après avoir passé un test écrit et un entretien, Mohammed a commencé à travailler comme médecin généraliste pour MSF dans le camp de Kawargosk. « Le travail est intéressant, dit-il. Je suis très heureux de travailler dans mon domaine de compétences et d’y consacrer toute mon énergie. Les gens ici sont contents des services que nous offrons, surtout parce que je parle la même langue et le même dialecte qu’eux. Je connais les souffrances qu’ils endurent et leur façon de penser. Parfois le seul traitement dont ils ont besoin passe par les mots, pas par des médicaments. »
Mohammed vit toujours dans le camp de Darashakran, il fait tous les jours le trajet jusqu’au camp de Kawargosk à dix kilomètres de là. Bien qu’il ait dû fuir à deux reprises pour sauver sa vie et qu’il continue à dispenser des soins à ses compatriotes réfugiés, Mohammed a sa conscience qui le tiraille. « Jusqu’à maintenant encore, j’éprouve un sentiment de culpabilité d'avoir quitté la Syrie. Travailler ici avec MSF me console un peu mais parfois je me dis que j’aurais mieux dû servir mon peuple et rester même au prix de ma mort. Peut-être que j’aurais mieux rempli mon devoir. Je souhaite que la crise soit réglée aussi vite que possible et que les gens retournent chez eux. »
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