Modou entend ensuite un deuxième coup de feu et est persuadé que c’est son tour, que la balle l’a certainement touché. Pendant quelques secondes, il se demande s’il est vivant, s’arrête un peu plus loin et remarque qu’il a du sang sur lui. Pendant quelques secondes, il croit que c’est son sang à lui, il pense qu’il va mourir, jusqu’à ce que quelqu’un lui dise qu’il va bien, que ce sang ne lui appartient pas.
Au cours de cette première rencontre, Modou a pu aussi se confier au sujet de ses cauchemars récurrents, du sentiment de peur qui l’habite constamment, des reviviscences, de l’hypervigilance (le bruit de freins d’une voiture ou une voiture qui roule très vite près de lui peuvent engendrer des épisodes d’angoisse importants et générer un sentiment de confusion mentale).
Le suivi psychothérapeutique avec Modou a duré quelques mois. C’est en témoignant auprès de moi de son présent précaire et de sa difficile arrivée en France qu’il a pu dans un deuxième temps aborder l’événement traumatique. Les cauchemars terrifiants se sont transformés en rêves un peu plus apaisés. Lorsqu’il commence à aller à l’école, Modou demande à arrêter le suivi. Il dit n’avoir plus le temps pour venir au centre et souligne le besoin de se centrer sur l’ici et maintenant.
Madani, suivi par Camille
Madani* dit « avoir choisi » de venir en France pour être scolarisé. Il insiste. Il a fait « le choix » de décliner la proposition de travail de l’une de ses tantes. « Le choix » de fuir les violences massives exercées par son oncle, sur lui et sa mère, depuis le décès de son père. Pour autant, lors des premiers entretiens, ce « choix » l’agite. Il est sans nouvelles de sa mère depuis son arrivée en France, il y a de cela plusieurs mois. L’idée qu’elle aurait pu succomber aux coups de son oncle le ronge.
Je reçois Madani avec un interprète professionnel en soninké.
J’adresse une demande à Patricia, l’assistante sociale du centre, afin de trouver une solution pour aider Madani à contacter sa mère. Avec l’aide de l’un des médiateurs culturels qui lui explique le fonctionnement de la carte téléphonique, Madani tente de reprendre contact avec sa mère. Elle répond.
À chaque consultation suivante, Madani se présente avec des dessins qui soutiennent sa parole et ses affects. Ses productions reflètent ses cauchemars qui sont peuplés d’animaux noirs, hirsutes, arborant souvent des longues griffes – « les animaux de la mer », comme il les appelle, non sans équivoques. Ces animaux effrayants entourent deux personnages qui se tiennent la main, lui et Harun, son compagnon d’exil.
La parole se libère.