Lors de ces moments passés à bord avant l’opération de débarquement par la force le 20 novembre, nous avons pu nous rendre compte du désespoir et de la grande fragilité de ces rescapés. Rescapés tout d’abord de périodes plus ou moins longues de détention en Libye, de quelques semaines à plusieurs années, que ce soit dans les centres de détention officiels sous l’autorité du ministère de l’Intérieur où croupissent plus de 5 000 réfugiés et migrants et auxquels des organisations internationales telle que la nôtre ont un accès limité, ou dans les geôles clandestines de trafiquants qui utilisent la torture pour extorquer autant d’argent que possible aux suppliciés captifs et à leurs familles. Les cicatrices constatées par notre équipe médicale sur plusieurs patients à bord témoignent de ces violences extrêmes. Cela s’ajoute à une série de dangers et de situations d’exploitation et de mauvais traitements qui rythment le parcours de ces personnes, dont une dizaine est enregistrée auprès du HCR et plusieurs sont mineures, âgées de 13 ans.
Ce sont des rescapés enfin d’une traversée en mer où les risques de périr ont augmenté à mesure que se refermait le piège orchestré par l’Italie et les autres États européens et mis en œuvre en partenariat avec les garde-côtes libyens pour contenir et ramener un maximum de personnes en Libye. Après la fermeture des ports italiens et maltais cet été, la non-assistance semble gagner du terrain en Méditerranée, des navires commerciaux préférant se détourner des canots en détresse pour éviter ensuite des jours de blocage en haute mer ou d’avoir à ramener de force les personnes secourues vers la Libye, en violation du droit international maritime et humanitaire. Avant d’être approchés par le Nivin, ce groupe de réfugiés et migrants rapportent ainsi que pas moins de six navires les auraient ignorés.
Il s’agit de personnes qui n’auraient jamais dû être ramenées en Libye [2], et qui, refusant de remettre un pied dans l’univers carcéral libyen, s’accrochaient à leurs droits, celui de fuir, de demander à être protégés, de toucher terre dans un lieu où leur situation pourrait être examinée et leur vie ne serait pas mise en danger. Qu’ont fait exactement les agences mandatées pour garantir la protection de ces droits pendant cette dizaine de jours ?