Monsieur le Président de la République française,
Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les Ministres de la Santé et du Commerce
Paris, le 17 avril 2001
Le 18 avril, à Prétoria, en Afrique du Sud, reprendra un procès qui retient toute notre attention tant ses conclusions et son retentissement seront déterminants pour les médecins impliqués dans les soins aux plus démunis.
Il n'est plus acceptable pour nous et nos patients de se voir refuser l'accès à des médicaments efficaces. Abandon de la recherche pour les maladies tropicales, abandon de la production de certains médicaments essentiels et prix prohibitifs pour les nouvelles molécules conduisent à des situations catastrophiques. L'épidémie de paludisme qui a touché un million de Burundais, l'hiver dernier, constitue un exemple frappant de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons. En effet, la majorité de ces malades a été traitée avec de la chloroquine dont l'inefficacité est établie dans tous les pays de la région. Des alternatives thérapeutiques existent mais leur coût interdit pour l'instant leur utilisation élargie.
Les malades atteints du sida sont un autre exemple de cette situation inacceptable. Alors que l'Afrique du Sud prend un tournant décisif pour permettre à ces patients de bénéficier de traitements, 39 compagnies pharmaceutiques, parmi lesquelles Aventis, une entreprise française, ont engagé une action en justice contre le gouvernement sud-africain. Elles demandent que celui-ci retire une loi, votée en 1997 et bloquée depuis, destinée à rendre les médicaments plus accessibles. Cette loi permettrait à de nombreux patients atteints du sida ou d'autres maladies d'obtenir à un prix abordable les médicaments essentiels à leur survie.
L' enjeu de ce procès est de savoir si la priorité sera donnée au maintien des profits de l'industrie pharmaceutique, au détriment de l'accès à des médicaments vitaux pour les malades. Les compagnies pharmaceutiques ont, certes, besoin de la protection assurée par les brevets pour financer leurs recherches. Mais cet argument est irrecevable car les bénéfices réalisés sur la vente des anti-rétroviraux depuis le milieu des années 1990 devraient permettre, aujourd'hui, aux patients les plus menacés de disposer d'un traitement.
Les compagnies pharmaceutiques le savent bien et elles ont déjà proposé, en marge du procès, des tarifs préférentiels pour certains médicaments. Mais ces annonces ne constituent pas une réponse durable et la vie des malades ne peut dépendre de ces offres « promotionnelles ».
Depuis le 11 mars dernier, plus de 250 000 personnes à travers le monde se sont mobilisées aux côtés de Médecins Sans Frontières en signant une pétition qui demande aux compagnies pharmaceutiques de retirer leur plainte sans condition. Les 626 membres du Parlement Européen, des représentants des gouvernements belge, allemand, hollandais et danois ont pris, pour leur part, des positions publiques fortes en soutien au gouvernement sud-africain et en faveur de l'accès aux médicaments pour les pays pauvres.
Parce que le défi posé par l'absence d'accès aux médicaments essentiels pour les plus démunis réclame de l'ambition, mais aussi une forte volonté politique, nous nous adressons à vous. En demandant à la société Aventis de retirer sa plainte, en soutenant les initiatives des pays désireux de favoriser l'accès aux médicaments vitaux et en participant à l'élaboration de politiques appropriées, la France pourrait jouer un rôle de premier plan dans la mise en place de solutions plus équitables.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre et Messieurs les Ministres à l'expression de ma haute considération.
Jean-Hervé Bradol
Président de Médecins Sans Frontières