Elle raconte son périple comme si elle y était : « Après un long voyage, avec de nombreuses étapes, il s'est d'abord installé à Tripoli, dans le nord du Liban sous une tente puis il est venu à Bourj el-Barajneh. Il a construit une petite maison à laquelle il a ajouté des étages pour que mes garçons puissent y vivre. La maison est un immeuble maintenant ». La famille se compose d'une cinquantaine de membres, tous ne sont pas restés dans le camp. Un des fils a été tué lors d'un conflit interne au camp en 1987. Ahmed, son mari, est aussi devenu aveugle, il n'y a pas si longtemps : une cataracte.
« Nous avons de l'électricité quelques heures par jour. Les coupures sont omniprésentes. L'eau est salée. C'est tout ce que nous avons. » Ahmed, l'ancien employé d'une station service dépend des aides sociales. Il a aussi besoin de soutien. Il est silencieux mais est toujours souriant. Sa femme raconte : « Il a tenté de se suicider plusieurs fois, il avait développé une forme d'agressivité car tout lui était devenu insupportable, lui, qui avait l'habitude d'être si tranquille : les cris des enfants, les rires des voisins, le bruit des mobylettes... Il criait sans raison apparente, brisait de rage le mobilier, importunait régulièrement les voisins et sa propre famille, il développait des maux de tête. » Le psychiatre de MSF le suit depuis deux ans pour l'aider à comprendre ces maux qui l'habitent.
Ahmed est l'un des premiers patients de MSF à Bourj el-Barajneh. Le vieil homme, au regard doux, interrompt sa femme pour nous inviter : « ma maison est votre maison. Ici, dans ce camp, je ne suis pas chez moi, je suis un invité. J'ai toujours été un bon vivant, je suis un amoureux de la vie, j'étais l'ami du « kief » (كيف) : je dansais avec ma femme en toutes occasions et notamment pendant les mariages et j'aimais chanter. J'aimerais tant retourner en Palestine... si c'était possible... ».