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Liban : le système de santé s’effondre, conséquence d’une grave crise économique et politique

Fatima a 58 ans. Elle est assise dans le salon de sa maison, située dans la ville d'Hermel, dans la vallée de la Bekaa. Elle souffre de complications dues à son diabète. Liban.
Fatima a 58 ans. Elle est assise dans le salon de sa maison, située dans la ville d'Hermel, dans la vallée de la Bekaa. Elle souffre de complications dues à son diabète. Liban. © Karine Pierre/Hans Lucas

Le Liban fait face à une crise économique majeure, marquée notamment par des pénuries de biens essentiels, comme l’essence ou les médicaments. Les équipes de Médecins Sans Frontières sont les témoins directs des conséquences de cet effondrement et s’inquiètent de la capacité des autorités à fournir des services de santé essentiels à la population. 

« Les hôpitaux en sont déjà à un stade où ils doivent rationner leurs services et prioriser leurs patients, explique Joao Martins, chef de mission MSF au Liban. Des personnes pourraient mourir de maladies facilement traitables ou évitables, uniquement parce que les hôpitaux n’ont plus d’électricité, de matériel nécessaire ou de personnel médical pour les prendre en charge. »

Pénurie d’essence

La crise économique n’a pas seulement détruit le pouvoir d’achat de la population et mené à une inflation sans précédent, elle a aussi affecté l’importation d’essence dans le pays. En raison des interruptions du réseau électrique national et faute de carburant, nécessaire pour alimenter les générateurs de secours, les hôpitaux font face à de longues coupures d'électricité quotidiennes. 

« La crise au Liban a été exacerbée par des années de corruption, et nous voyons maintenant que cela peut contribuer à la destruction d’un système de santé dans son ensemble, au même titre qu’une guerre ou qu’un désastre naturel. Le vide politique dans le pays n’est pas seulement la cause de cet effondrement du système de santé, c’est aussi ce qui empêche d’y mettre un terme. Les autorités doivent agir maintenant pour éviter une aggravation des conséquences de la crise », poursuit Joao Martins.

Les équipes MSF ne sont pas épargnées par ces coupures de courant. Dans leur hôpital de Bar Elias (dans la vallée de la Bekaa), elles ont récemment fait face à une interruption d’électricité qui a duré plus de 44 heures cumulées en l’espace de trois jours. En conséquence, elles ont dû diminuer de moitié leurs opérations chirurgicales et rationner l’essence disponible pour rester en capacité de prendre en charge d’éventuelles urgences.

Les équipes MSF rendent visite à Fatima, atteinte de diabète avec complications. Elle habite à Hermel, dans la plaine de la Bekaa. Liban. 
 © Karine Pierre/Hans Lucas
Les équipes MSF rendent visite à Fatima, atteinte de diabète avec complications. Elle habite à Hermel, dans la plaine de la Bekaa. Liban.  © Karine Pierre/Hans Lucas

MSF peut parfois compter sur des transferts de patients vers d’autres hôpitaux, mais cela devient de plus en plus difficile, puisque ces structures de santé interrompent également une à une leurs services qui ne relèvent pas des urgences, pour préserver leur essence et leur capacité d’action. L’un de ces hôpitaux publics a récemment informé l’association qu’il n’était plus en mesure d’accueillir les patients orientés par MSF. Cette structure a dû fermer tout son service de pédiatrie pour réduire sa consommation d’électricité.

Des médicaments de plus en plus durs à trouver

Le Liban fait aussi face à des ruptures dans l'approvisionnement en médicaments de base tant au niveau des grossistes  que des pharmacies. Ces derniers mois, les équipes MSF ont recueilli de nombreux témoignages de patients décrivant des pénuries de médicaments, nécessaires pour leur traitement, dans des centres de santé gérés par le gouvernement. 

« C’est extrêmement préoccupant de voir des personnes dont l’état médical était stable et dont la santé se détériore à nouveau parce qu’elles n’ont pas été capables d’avoir accès aux médicaments dont elles avaient besoin », détaille Joanna Dibiasi, responsable des sages-femmes dans l’un des projets MSF de Beyrouth. 

Pour la première fois, certains hôpitaux publics, vers lesquels MSF oriente des femmes enceintes pour leur accouchement, demandent également à l’association de leur fournir de l’ocytocine et du magnésium, des médicaments essentiels nécessaires en cas de complications potentiellement mortelles.

Des patients attendant pour recevoir une consultation à la clinique MSF d'Arsal, dans la plaine de la Bekaa. Liban.
 © Karine Pierre/Hans Lucas
Des patients attendant pour recevoir une consultation à la clinique MSF d'Arsal, dans la plaine de la Bekaa. Liban. © Karine Pierre/Hans Lucas

« Malheureusement, nous ne sommes pas toujours en mesure d’aider. Les quantités de médicaments disponibles dans nos cliniques, et plus généralement dans nos stocks, sont limitées. Et même si nous arrivons à passer des commandes supplémentaires, cela prend généralement beaucoup de temps en raison des délais importants liés à l’importation. En ce moment, l’acheminement des médicaments peut prendre jusqu’à huit mois, ce qui est beaucoup trop long, surtout lorsque l’on travaille dans un contexte de crise », explique Joao Martins.

Des associations débordées

Une grande partie de la population n’est plus en mesure de payer pour des soins médicaux privés, et il y a une augmentation frappante du nombre de personnes qui comptent désormais sur l’aide humanitaire pour avoir accès à des services de santé. De plus en plus de gens se présentent dans les cliniques MSF à la recherche de services médicaux gratuits. Certains  demandent même aux équipes MSF de l'aide pour trouver de la nourriture.

Dans la vallée de la Bekaa, MSF offre des soins de santé reproductive, de santé mentale, ainsi qu’un suivi pour les patients souffrant de maladies chroniques. Le nombre de personnes suivies par MSF a augmenté de 60 % depuis janvier 2020. « Dans cette région, nous offrons désormais des soins à 3 500 patients qui nécessitent un suivi de long terme, explique Céline Urbain, coordinatrice de projet pour MSF. Cette augmentation est alarmante : d’un côté, cela témoigne des difficultés que rencontrent les populations, libanaises ou non (de nombreux réfugiés syriens sont installés dans la Bekaa), et de l’autre, nous commençons à atteindre nos limites et cela pourrait avoir une incidence sur la qualité des soins. » 

Il y a quelques mois, des femmes enceintes faisaient la queue pour accéder à la structure MSF dédiée aux soins de santé maternels, installée dans le sud de Beyrouth. Elles attendaient des heures pour être admises et recevoir une consultation. Les équipes MSF ont été contraintes de mettre en place une évaluation socio-économique pour savoir lesquelles de ces femmes devaient être suivies prioritairement. « Le fait de pouvoir aider les plus vulnérables, qui n’ont pas d’autres options pour être prises en charge pendant leur maternité, est évidemment positif. Malheureusement, nous sommes contraints de faire des choix, dans un contexte de très forte augmentation du nombre de personnes qui se présentent pour recevoir des soins. », ajoute Joanna Dibiasi.

« Nous restons déterminés, dans la mesure de nos moyens, à continuer d’offrir des services médicaux de façon impartiale aux personnes les plus vulnérables, mais des actions sont nécessaires de la part des autorités libanaises pour assurer l’accès aux soins de santé essentiels à l’ensemble de la population. Elles doivent agir pour que les médicaments et les produits de base comme l’essence soient de nouveau accessibles au Liban. Les acteurs humanitaires ne peuvent pas remplacer le système de santé de tout un pays », conclut Joao Martins.

Notes

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