Juillet 2017. On rejoint nos contacts libyens à l’hôpital public de Bani Walid. Des activistes. Distributions pour les déplacés. Petite réhabilitation à l’hôpital. Une ONG locale, comme on dit.
On fait le tour de la chirurgie. Dans un coin, un homme noir, massacré. Un poignet gros comme le genou. Des traces de coups sur la peau, les yeux dans le vague. Il a été torturé.
Un copain à lui est resté en ville, une balle dans la jambe depuis plusieurs jours. Les Libyens nous guident vers une parcelle emmurée. Un type en djellaba blanche, portant beau, nous ouvre la porte. À l’intérieur c’est une fermette : une cour, deux latrines, quelques pièces dans un bâtiment au fond. Celle de gauche est vide. Ou presque : sur le sol, le blessé, enroulé dans une couverture. Décharné. Une balle dans la cuisse. Il est mort deux heures plus tôt. Un sac d’os et une bille de métal.
La police arrive. Le gars en djellaba blanche discute avec eux. Les flics ramassent le corps. Ils iront le déposer à la morgue de l’hôpital, déjà pleine à craquer. Dans la fermette, d’autres spectres déambulent, émaciés, hagards.
C’était mon premier contact dans les soutes de la migration. J’étais abasourdi. Pour les autres, c’était une journée ordinaire. Les activistes libyens, c’étaient les mecs d’Assalam avec qui on avait noué un partenariat. Le gars en djellaba blanche portait des dreadlocks. Rasta, qu’il s’appelait. Un Ivoirien. C’était le tenancier de cette pension très spéciale. Hôtel pour quelques immigrés, devenu refuge pour ceux qui étaient libérés par les réseaux de kidnapping. Ça vient de tout ça, le nom : « Hôtel Ivoire ».
Rasta et son ami Moussa s’occupent des relations avec les notables libyens, le proprio, les patrons qui viennent chercher de la main d’œuvre à bas prix. Ils nous demandent de l’aide, des cliniques mobiles, du filet à ombre, de la bouffe, trois fois rien. On se lance, on y retourne chaque semaine pendant des mois. Nos médecins font des consultations. Moussa leur sert d’assistant et d’interprète. Rasta contacte les trafiquants et les criminels pour leur expliquer ce qu’on fabrique là. Les copains libyens s’occupent des autorités tribales et militaires. Ils passent les messages, comme on dit. Grâce à eux nous sommes en sécurité à Bani Walid, alors que la région est plutôt dangereuse. On leur file un coup de main, ils nous sauvent la peau.