Lutter contre la dengue grâce à des moustiques : au Honduras, MSF participe à l'introduction d'une technique innovante

Lutter contre la dengue grâce à des moustiques: au Honduras, MSF participe à l'introduction d'une technique innovante
MSF, en collaboration avec le ministère de la Santé, a commencé à relâcher les premiers moustiques porteurs de Wolbachia dans l'une des zones d'intervention de Tegucigalpa. © MSF/Laura Aceituno

Pour faire face à l’épidémie de dengue en pleine expansion au Honduras, Médecins Sans Frontières collabore avec les autorités sanitaires et les acteurs locaux sur un projet innovant. La technologie et la participation communautaire jouent ici des rôles clés.

Pour Victoria, résidente de Tegucigalpa, capitale du Honduras, une simple piqûre de moustique a marqué le début d'un cauchemar à l’hôpital qui lui a presque coûté la vie. « Au début, c'était la fièvre, puis les douleurs articulaires qui m'empêchaient de bouger. Quand les saignements ont commencé, je pensais que j'allais mourir, et tout ce que je voulais, c'était survivre pour pouvoir prendre soin de ma fille », se souvient Victoria.

Sandra, une autre habitante de la capitale du pays, affirme que sa famille a souffert de plusieurs cas de dengue, certains très graves. « Mon petit-fils a été hospitalisé, il était tellement malade qu'on s'attendait au pire, mais heureusement, il s'est rétabli », dit-elle.

Ces expériences difficiles ont incité Victoria et Sandra à rejoindre un groupe de dirigeants communautaires réunis pour lutter contre la dengue dans leur quartier. Aujourd'hui, toutes les deux travaillent aux côtés de Médecins Sans Frontières qui met en œuvre un projet visant à prévenir cette maladie grâce à une méthode innovante.

En 7 ou 10 jours, les moustiques peuvent atteindre leur stade adulte (leur durée de vie moyenne est de 30 jours). 
 © Martín Cálix
En 7 ou 10 jours, les moustiques peuvent atteindre leur stade adulte (leur durée de vie moyenne est de 30 jours).  © Martín Cálix

Une nouvelle méthode de prévention :

Au Honduras les épidémies de dengue sont de plus en plus graves, avec plus de 10 000 cas signalés chaque année. En 2023, le ministère de la Santé a signalé plus de 9 200 personnes touchées par cette maladie dans la capitale du pays.

« Aucun traitement spécifique n'est actuellement disponible et aucun vaccin n'a encore été produit pour offrir une protection suffisante contre l'infection. Depuis de nombreuses années, MSF mène des interventions d'urgence pour faire face aux vagues de dengue dans ce quartier de la ville, explique Edgar Boquin, coordinateur du projet. Pour l'instant, nous avons réussi à réduire le nombre de cas, mais les recherches sur la résistance à la fumigation montrent que les méthodes traditionnelles ne sont plus efficaces pour arrêter la propagation, c'est pourquoi il est nécessaire d'introduire des mesures complémentaires et innovantes. »

Cette nouvelle approche repose sur l'utilisation de moustiques porteurs d'une bactérie appelée Wolbachia, dont la présence empêche la transmission de la dengue et d'autres maladies comme le Zika et le chikungunya. Bien que cette bactérie vit naturellement sur 50 % des insectes, dont certains moustiques, mouches des fruits, papillons nocturnes, libellules et papillons ; il n'est pas naturellement présent chez les principaux transmetteurs d'arbovirus comme le moustique Aedes aegypti.

Les moustiques porteurs de Wolbachia sont élevés dans l'insectarium MSF et seront relâchés dans un quartier de Tegucicalpa pendant six mois.
 © Martín Cálix
Les moustiques porteurs de Wolbachia sont élevés dans l'insectarium MSF et seront relâchés dans un quartier de Tegucicalpa pendant six mois. © Martín Cálix

Grâce à une technologie développée par le World Mosquito Program (WMP), Wolbachia est introduit dans les œufs de moustiques en laboratoire. Plus tard, lorsqu'ils deviennent adultes, les moustiques sont relâchés dans les zones d'intervention pour réduire la transmission de ces maladies et faire en sorte qu'ils puissent se reproduire en s'accouplant avec des moustiques locaux. WMP Wolbachia a été utilisé dans des pays comme l'Australie, le Brésil, le Mexique et la Colombie, où plus de 11 millions de personnes continuent de bénéficier de cette méthode de prévention contre les maladies transmises par les moustiques.

Après une première phase axée sur la sensibilisation et l'acceptation de Wolbachia par les communautés de la zone, l'introduction de moustiques porteurs de cette bactérie va bientôt commencer pour entamer le processus d'accouplement avec la population locale de moustiques. « En conséquence, on s'attend à ce qu'après avoir relâché des moustiques porteurs pendant un maximum de 26 semaines (environ 6 mois), la bactérie se soit transmise de génération en génération jusqu'à ce qu'un pourcentage élevé de moustiques dans la zone d'intervention soient porteurs de la bactérie », explique Edgar Boquín. 

Ce projet bénéficie de la participation du créateur de cette technologie, le World Mosquito Program ainsi que le ministère de la Santé hondurien. L'Institut de recherche en microbiologie de l'Université Autonome du Honduras (IIM-UNAH) est également impliqué et suivra les progrès de cette initiative. « Nous surveillerons le processus de collecte des échantillons, leur analyse et la publication des résultats en temps opportun. Notre intérêt est de générer des preuves scientifiques qui aident à démontrer, tant au ministère de la Santé qu'aux communautés et à la société en général, l'efficacité de ces études dans ces domaines d'intervention », explique Denis Escobar, chercheur à l'IIM-UNAH.

Julia López est l'une des volontaires qui ont accepté de placer chez elle une bouteille contenant des œufs de moustique Wolbachia. 

 
 © Martín Cálix
Julia López est l'une des volontaires qui ont accepté de placer chez elle une bouteille contenant des œufs de moustique Wolbachia.    © Martín Cálix

L’adhésion de la communauté :

« Au début, j'avais beaucoup de questions sur ce projet MSF, admet Sandra. Ici, nous connaissons bien l'organisation car l'année dernière, nous travaillions sur la fumigation pour se débarasser des moustiques lors de l'urgence de la dengue. Alors, quand les équipes sont venues nous dire qu'on n'allait plus les éliminer, mais plutôt en libérer davantage, ça a été un sacré changement ! La première chose que nous avons ressentie, c’est la peur, car nous sortons d’une pandémie de COVID et nous ne voulons pas en entrer dans une autre. »

Après plusieurs ateliers communautaires et réunions d'information avec les équipes de promotion de la santé de MSF, Sandra est passée de hésitante a suffisamment confiante pour promouvoir l'initiative auprès des autres. « La méthode Wolbachia est encore difficile à expliquer à nos voisins, mais nous comprenons le potentiel que cette technologie nous offre pour réduire les dégâts de la dengue dans notre communauté et en particulier chez les mineurs, ce sont eux qui sont les plus exposés et les plus à risque. », explique-t-elle. 

Impliquer des personnes issues de la communauté comme Sandra et Victoria est essentielle à la réussite du projet. Tout d'abord, elles sont chargées d'héberger chez eux les conteneurs d'œufs de Wolbachia, qui arrivent de l'insectarium de MSF. Sandra et Victoria surveillent leur croissance et leur libération ultérieure. Juan Bernales, responsable des activités communautaires de MSF, déclare : « Nous avons également prévu des activités promotionnelles et un système de plaidoyer local dans lequel les dirigeants communautaires deviendront les principaux porte-parole du projet afin d'encourager les autres à participer. »

La route pour rejoindre les maisons des volontaires communautaires est difficile d'accès. Malgré cela, l'équipe MSF rend visite à ces personnes chaque semaine.
 © Martín Cálix
La route pour rejoindre les maisons des volontaires communautaires est difficile d'accès. Malgré cela, l'équipe MSF rend visite à ces personnes chaque semaine. © Martín Cálix

Avec les acteurs locaux, MSF a conçu, préparé et mis en œuvre toutes les activités qui sont menées dans 50 quartiers du district sanitaire d'El Manchén, où les taux de maladies transmises par les moustiques sont parmi les plus élevés de Tegucigalpa. En juillet de cette année, les équipes MSF ont mené une enquête auprès de plus de 490 personnes de la communauté pour connaître le niveau d'acceptation du projet. Les résultats indiquent que 97 % des personnes interrogées conviennent que cette initiative devrait être mise en œuvre pour réduire l'impact de la dengue dans la région. « Beaucoup de gens ont accepté que cette maladie soit un problème avec lequel ils doivent vivre, mais avec ce projet, nous voulons montrer qu'il existe une autre façon de réduire le niveau de dengue dans notre quartier », conclut Sandra.
 

En 2024, des activités supplémentaires de lutte antivectorielle seront menées dans deux autres zones de la capitale pour diminuer la transmission des virus à l'intérieur des habitations. « Le premier objectif est de réduire le nombre de décès et de maladies causés par la dengue et d'autres arbovirus. A long terme, nous espérons que ces nouvelles méthodes deviendront des solutions durables pour éviter que les gens ne contractent ces maladies, déclare Edgard Boquin. Nous avons été les premiers témoins des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des politiques publiques et des bonnes pratiques de lutte antivectorielle pour réduire la transmission de la dengue au Honduras. Il est temps de changer les choses. »

Notes

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