Malawi : les travailleuses du sexe, actrices de leur santé

Les membres d'une organisation communautaire discutent de santé sexuelle et reproductive avec un groupe de travailleuses du sexe.  
Les membres d'une organisation communautaire discutent de santé sexuelle et reproductive avec un groupe de travailleuses du sexe.   © Diego Menjibar

Au Malawi, les équipes de Médecins Sans Frontières travaillent avec des organisations communautaires afin d’améliorer l’accès aux soins des travailleuses du sexe. Certaines sont formées et identifiées comme « paires » pour conseiller, accompagner et répondre au mieux aux besoins, notamment médicaux, de ces femmes.

Les villes de Dedza et de Zalewa sont situées le long de la principale route commerciale qui traverse le Malawi et qu’empruntent les camions à destination de la Tanzanie ou du Mozambique. De nombreuses femmes s’y retrouvent pour tenter de survivre et gagner de l’argent grâce au travail du sexe.

Des situations familiales difficiles, des évènements traumatiques au cours de leur vie, le manque de soutien, de ressources ou de formation professionnelle les amènent à se tourner vers le travail du sexe pour s'en sortir. Certaines ont perdu leurs parents ou ont été quittées par leur mari et se sont retrouvées seules, sans ressources ; d’autres ont subi des abus sexuels, dont des incestes, et ont été exclues de leur communauté. Isolées, leur situation économique les rend extrêmement vulnérables sur le plan sanitaire et sécuritaire, ainsi que les enfants qui vivent avec elles.

La route principale qui traverse la ville de Dedza, au Malawi. 
 © Diego Menjibar
La route principale qui traverse la ville de Dedza, au Malawi.  © Diego Menjibar

Hamida*, 29 ans, tenait un magasin de légumes et de charbon de bois dans la ville de Mangochi. Lorsque son mari l'a quittée pour une autre femme, elle n'a plus été en mesure de subvenir aux besoins de ses trois enfants et de ses quatre frères et sœurs. « J'ai commencé en 2020 et depuis, chaque mois, je leur envoie de l'argent mais ce n'est jamais assez, raconte la jeune femme. Il m'arrive souvent de m’endormir le ventre vide. »

Travailleuse du sexe depuis 2008, à la suite du décès de son mari, Agnès est la fondatrice de l'une des deux organisations communautaires de travailleuses du sexe soutenues par MSF. « J'ai deux ou trois clients par jour et je gagne environ 6 000 kwachas [3,3 euros], explique la mère de quatre enfants, âgée de 42 ans. Le pire dans ce travail, c'est d'avoir des relations sexuelles avec des hommes qui ne paient pas. Cela arrive très souvent. D'autres fois, les clients nous battent et nous volent. »

(gauche) Matériel d'auto-prélèvement dans le cadre du dépistage du papillomavirus. (droite) Prophylaxie pré-exposition orale pour le VIH.

 

 
 © Diego Menjibar
(gauche) Matériel d'auto-prélèvement dans le cadre du dépistage du papillomavirus. (droite) Prophylaxie pré-exposition orale pour le VIH.     © Diego Menjibar

La plupart des travailleuses du sexe que les équipes MSF rencontrent ont des difficultés à accéder aux soins, en raison de leur précarité et de la stigmatisation dont elles font l’objet. « Il s'agit de grossesses non désirées, d'avortements à risque pouvant entraîner de graves complications, voire la mort, d'une forte prévalence d'infections sexuellement transmissibles, en particulier du VIH, et souvent de blessures causées par les clients », détaille Charlie Masiku, coordinateur de projet de MSF au Malawi.

Après six ans de soutien direct aux travailleuses du sexe de Dedza et de Zalewa, les équipes MSF les ont aidées à s’associer au sein d’organisations communautaires à partir de 2020. Des travailleuses du sexe formées et identifiées comme des « paires » mènent désormais des actions de promotion de la santé portant notamment sur les pratiques sexuelles sûres et la contraception. Elles apportent également leur soutien pour lutter contre les violences sexuelles et sont impliquées dans la prévention des infections sexuellement transmissibles.

Cecilia, responsable de l'organisation communautaire Zalewa, discute de santé sexuelle et reproductive avec un groupe de travailleuses du sexe.
 © Diego Menjibar
Cecilia, responsable de l'organisation communautaire Zalewa, discute de santé sexuelle et reproductive avec un groupe de travailleuses du sexe. © Diego Menjibar

Le partage d’expérience et de conseils est au cœur de leur démarche. Elles fournissent par exemple des informations sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour protéger les travailleuses du sexe séronégatives ou encore dispensent des formations au dépistage du VIH et du papillomavirus, responsable du cancer du col de l'utérus.

Toutes les deux semaines, une équipe MSF composée d'une infirmière, d'une promotrice de santé et d'une psychologue se rend dans l’une ou l’autre de ces localités pour apporter un soutien médical plus approfondi. « Parfois, nous orientons les femmes vers des hôpitaux pour des problèmes de santé qui ne peuvent être traités par nos équipes ou dans les centres de santé locaux, mais elles n'ont pas les moyens de se rendre dans un hôpital à deux heures de chez elles, poursuit le coordinateur de projet. Nous rencontrons des jeunes femmes présentant des problèmes de santé à des stades très avancés. »

Christine, infirmière MSF, réalise une consultation avec une travailleuse du sexe. 
 © Diego Menjibar
Christine, infirmière MSF, réalise une consultation avec une travailleuse du sexe.  © Diego Menjibar

Ces dernières années, la situation économique et l'environnement de travail de ces femmes n'ont cessé de se détériorer, notamment à cause de l’augmentation des prix et de la dévaluation de la monnaie locale, le kwacha. Elles rapportent subir des abus de plus en plus fréquents de la part des clients et une baisse du prix de leurs services, ce qui les oblige à augmenter le nombre de clients chaque jour.

« La formation de ces femmes pour leur permettre d’accéder aux soins est très importante mais elles ont également besoin de bénéficier d’un soutien économique et social de la part d'autres organisations pour leur permettre, à elles et à leurs enfants, de s’en sortir », poursuit Charlie Masiku. « Si j'arrête maintenant, comment vais-je faire pour gagner de l'argent ? » demande Agnès, dont la fille de 23 ans est également devenue travailleuse du sexe.

Sur place, les équipes de MSF tentent d’établir des liens avec des organisations locales qui pourraient aider les femmes à se former à d’autres activités comme la culture et la vente de fruits et légumes, la fabrication du savon et l’élevage du bétail, ou qui pourraient payer les frais de scolarité pour leurs enfants. 

Depuis 2022, plus de 1 800 travailleuses du sexe ont bénéficié de services de santé sexuelle et reproductive, d'un soutien en matière de santé mentale, de promotion de la santé et de traitements médicaux.

*Les prénoms ont été modifiés.

Notes

    À lire aussi