Mozambique : après le passage du cyclone Idai, « sous les eaux, vous nous trouverez »

Vue aérienne de la ville de Buzi après le passage du cyclone Idai. 2019. Mozambique.
Vue aérienne de la ville de Buzi après le passage du cyclone Idai. 2019. Mozambique. © Pablo Garrigos/MSF

Adriana* est une infirmière de 26 ans qui travaille avec les équipes d’urgence de Médecins Sans Frontières (MSF) au Mozambique. Elle a réchappé avec son fils au passage du cyclone Idai, mais son mari a péri. En dépit de cette tragédie, elle soigne les patients dans les régions les plus reculées du pays, dans des communautés sinistrées. Elle livre le récit d’une journée qui a changé sa vie.

Je suis née dans une petite ville et suis allée à Nhamatanda pour faire des études d’infirmière. J’ai rencontré mon mari à un match de football, sur le terrain où nous atterrissons en hélicoptère pour aller dispenser des soins. Il faisait des études pour devenir instituteur. Et nous organisions souvent des matchs entre étudiants instituteurs et étudiants infirmiers. Nous nous sommes rencontrés à un match et nous sommes tombés amoureux.

Nous avons fini nos études et nous sommes mariés peu après en 2015. Nous nous sommes installés dans sa maison pour y élever notre famille près de ses parents. Nous avons eu un fils qui a maintenant deux ans et mon mari m’aidait à m’occuper de mes deux filles plus âgées que j’ai eues de mon premier mariage.

Il a été nommé dans un autre district et il est parti là-bas pour enseigner dans une école primaire. Il venait nous voir tous les mois et il était si fier de son travail où il enseignait aux enfants à devenir de bons citoyens. Je m’occupais de la maison et je travaillais à droite et à gauche pour arrondir les fins de mois. Nous étions heureux. Mais le 14 mars, tout a changé.

Buzi, Mozambique.
 © MSF/Pablo Garrigos
Buzi, Mozambique. © MSF/Pablo Garrigos

Nous savions déjà que du mauvais temps arrivait car nous avions entendu à la radio des informations sur le cyclone. Mais rien n’aurait pu nous préparer à ce qui allait arriver. Mon mari nous a téléphoné juste avant le passage du cyclone pour nous demander comment nous allions et nous dire d’être prudents. Il était très inquiet mais nous lui avons dit qu’on ferait attention. Il a dit qu’il en ferait autant et nous a dit qu’il nous aimait. C’est la dernière fois que nous nous sommes parlé.

À dix heures du soir, il a commencé à pleuvoir. Je ne peux pas vous expliquer ce qui s’est passé. Mais jamais dans ma vie, ni dans celle de mes parents et de mes grands-parents, quelqu’un avait vu une pluie comme ça. L’eau a commencé à monter dans notre maison et les meubles flottaient. J’ai mis mes enfants sur notre table de cuisine pour qu’ils ne soient pas mouillés et j’ai prié parce que j’avais très peur. Je pensais à mon mari.

Tout ce que je sais de lui, je l’ai appris par ses collègues et ses amis qui se trouvaient avec lui cette nuit-là. Ils m’ont dit que l’eau avait commencé à monter dans l’école et dépassé le niveau de leurs épaules. Ils ont dû nager pour atteindre le toit. Mais rapidement le toit a aussi disparu sous les eaux. Le courant était très fort. Les gens ont dû nager jusqu’aux arbres les plus proches et prier pour que l’arbre où ils s’étaient accrochés résiste au vent et aux flots. Mon mari et d’autres personnes ont grimpé sur le mauvais arbre. L’arbre s’est écroulé et mon mari a été emporté par le courant. Il avait dû s’agripper à l’arbre pendant de longues heures et n’avait plus la force de nager. Plusieurs enfants de l’école ont péri de la même manière.

Le lendemain, plusieurs corps ont été retrouvés sur le rivage à Beira. Sans nouvelles de lui depuis deux jours, ses frères sont allés chercher mon mari parmi les corps échoués sur la plage. Ils ont passé toute la journée sous le soleil mais ne l’ont pas trouvé. Je n’ai même pas eu la possibilité de lui faire mes adieux.

Le bidonville de Praia Nova après le passage du cyclone Idai. Beira, Mozambique, 26 mars 2019.
 © Pablo Garrigos/MSF
Le bidonville de Praia Nova après le passage du cyclone Idai. Beira, Mozambique, 26 mars 2019. © Pablo Garrigos/MSF

Je suis restée couchée deux jours après ça, incapable de bouger ou de faire quoi que ce soit. Ma maison était détruite, mon mari n’était plus là, ma vie avait complètement changé en une nuit. Un matin, j’ai réalisé ce qui m’arrivait : j’étais sans emploi, seule, avec trois enfants. Je devais me battre.

Je tire une bonne part de ma force de mon métier d’infirmière. Et une infirmière se doit d’être forte. Nous voyons de la tristesse et de la souffrance tous les jours, c’est notre rôle dans ce monde d’apporter un soutien et de soigner. Comment puis-je pleurer quand c’est mon travail de réconforter ceux qui souffrent ? Cette tragédie n’a pas ébranlé que moi ou mon foyer, beaucoup de gens autour de moi ont souffert et ont beaucoup perdu. Je n’oublierai jamais, mais je vais avancer, non seulement pour moi, mais pour les autres aussi.

Mon travail à MSF m’amène dans des endroits où les gens ont perdu plus que moi, et cela me fait réaliser à quel point les gens ont pu être affectés. Quand des gens dans votre pays regardent le paysage du haut d’un hélicoptère, ils voient les régions inondées et les arbres déchiquetés, mais il y a beaucoup de choses que l’on ne voit pas. Sous les eaux, en dessous des branches cassées, vous nous trouverez, avec nos histoires, notre tristesse et notre détermination à vivre.

Je n’ai pas encore dit à mon fils que son père est mort. Je ne trouve pas la force en moi pour le faire, même si j’essaye. Il est si petit. Quand il me demande de téléphoner à son papa, j’appelle un de ses oncles et lui demande de faire semblant d’être son père. Mon rêve est que mes enfants étudient et finissent l’école. Parfois je me prends à rêver et je m’imagine reconstruire notre maison, peut-être aussi ajouter une petite épicerie de quartier. J’espère que mon mari sera fier de ce que nous deviendrons après son départ.

* Son prénom a été modifié à sa demande pour respecter son anonymat.

Notes

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