Tu as travaillé dans la ville de Mornay, située à l'ouest la ville de Mornay, située à l'ouest du Darfour, en juillet 2004. Qu'est-ce qui a changé depuis ?
Beaucoup de choses. A l'époque, de nombreuses personnes s'étaient déplacées au cours des six derniers mois pour fuir les violences massives et les massacres. Regroupées dans des camps, elles avaient un besoin urgent d'assistance, en eau, en nourriture, en soins pour endiguer les épidémies, comme celle d'hépatite E. La réponse humanitaire à grande échelle commençait seulement à se développer.
Aujourd'hui, la situation est totalement différente. MSF a dû réduire ses activités à cause de l'augmentation des combats et de l'insécurité dans tout le Darfour. Certes, dans les « îlots humanitaires » - c'est-à-dire les grands camps de déplacés situés près des villes contrôlées par le gouvernement - les indicateurs en termes de nutrition et de mortalité sont corrects. Mais les personnes qui vivent là sont coincées dans ces camps depuis plus de 30 mois. Lorsqu'elles en sortent pour aller chercher de l'eau ou de la nourriture, elles risquent de se faire tuer ou violer.
Cette insécurité se manifeste à différents niveaux à travers le Darfour. De nombreux endroits sont inaccessibles à MSF à cause de la situation sécuritaire et nous ne savons tout simplement pas comment les populations s'en sortent. A ce jour, dans la région du Djebel Moon, nous ne pouvons même pas évaluer la situation des personnes déplacées par les récents combats.
Cette année, nos équipes ont subi plus de 40 incidents violents. La plupart sur les routes et dans les villes contrôlées par le gouvernement soudanais. Sommes-nous visés ?
Il y a eu un certain nombre d'attaques violentes à l'encontre de MSF, allant du banditisme aux agressions visant clairement les travailleurs humanitaires. Nous ne pensons pas que ces attaques ciblent spécifiquement MSF, mais plutôt les travailleurs humanitaires en général.
Certaines attaques sont survenues dans les régions contrôlées par le gouvernement mais également dans d'autres parties du Darfour. Dans tous les cas, quelles que soit les autorités aux commandes, et particulièrement lorsqu'il s'agit du gouvernement, elles doivent assumer la responsabilité de ce qui se passe dans les zones qu'elles contrôlent.
A cause de ces attaques ciblées, nous avons dû arrêter certaines de nos activités. Concrètement, lorsque le danger était trop élevé, nous avons dû laisser des populations sans l'assistance dont elles avaient besoin, une décision difficile pour des travailleurs humanitaires médicaux.
C'est arrivé tout récemment dans les montagnes du Djebel Marra, en plein milieu d'une épidémie de choléra où nous avons donc dû évacuer nos équipes, alors qu'il aurait fallu, au contraire, plus de personnel afin de fournir des soins vitaux. Et dans la région du Djebel Moon, cela reste très difficile d'évaluer la situation des personnes déplacées par les récents combats.
Ces attaques font-elles partie d'une stratégie pour limiter l'aide ?
C'est difficile à dire. Stratégie délibérée ou pas, le résultat final est identique : l'aide est réduite pour la population. Certaines personnes nécessitant de l'aide médicale n'en reçoivent pas et nous ne savons pas ce qui se passe dans de grandes parties du Darfour.
Lors de ta visite à Karthoum, tu as rencontré des membres du gouvernement soudanais afin d'évoquer nos inquiétudes. Quelle a été leur réponse ? Sont-ils prêts à prendre des mesures ?
Les ministres que j'ai rencontrés m'ont expliqué qu'ils étaient responsables de la sécurité des travailleurs humanitaires dans les zones qu'ils contrôlent, et ont affirmé qu'ils garantissaient la possibilité de nous déplacer librement pour évaluer indépendamment les besoins des populations touchées. Reste à voir si leurs promesses vont se concrétiser, si nous allons pouvoir circuler sur les routes du Darfour. Pour l'instant, ce n'est toujours pas le cas.
Plusieurs projets de MSF, jusque récemment, s'articulaient autour d'un système de référence des patients ayant besoin d'une opération. Mais nous ne pouvons plus transférer ces patients gravement malades parce que les routes sont trop dangereuses. En 2004, nous pouvions emprunter la plupart des routes au Darfour. Aujourd'hui, tous les déplacements de nos équipes se font par avion.
Certaines organisations d'aide humanitaire se sont prononcées en faveur du déploiement des Casques bleus des Nations unies au Darfour. Quels sont les dangers liés à ce genre de prise de position ?
Lorsqu'on travaille au Darfour, il est très frustrant de voir cette violence à l'encontre de la population, de voir arriver des femmes dans vos cliniques qui viennent juste d'être violées, d'être témoin d'une horrible guerre qui, en plus, réduit votre capacité à apporter de l'aide. Du coup, il est tentant de proposer une solution rapide - si illusoire soit-elle - pour résoudre la situation.
Cependant, notre conception de la responsabilité des organisations humanitaires, c'est d'assister les populations et de décrire ce qu'elles voient. Dès lors que des organisations humanitaires se mêlent de négociations de paix ou appellent à une intervention militaire, elles sortent de ce cadre.
Au Darfour, certaines ONG ont demandé une intervention armée. Le problème, c'est qu'elles mettent en péril la neutralité des organisations humanitaires, essentielle pour travailler dans des zones de guerre et cruciale pour la sécurité des travailleurs humanitaires. MSF doit garder sa neutralité afin de pouvoir négocier avec les différentes parties au conflit un accès aux populations en danger.