Après avoir passé 15 mois au Pakistan comme chef de mission, je n'ai pas la prétention de dire qu'il s'agit ici d'une véritable "lettre du terrain" puisque cela fait déjà quelques temps que je suis rentré.
Même si ce témoignage n'a pas été écrit sur le terrain, il a l'intérêt d'avoir bénéficié d'une période de réflexion. Comme vous pouvez l'imaginer, j'en suis sûr, il y a une quantité de choses que je pourrais écrire après une telle expérience.
Nous avons connu des inondations, un tremblement de terre et le déplacement de personnes le plus important au Pakistan depuis la séparation avec l'Inde en 1947, et avons organisé des interventions pour y répondre.
Tout ceci en plus des activités régulières visant pour la plupart à fournir des soins médicaux aux mères et aux enfants, un domaine médical largement négligé par le système de santé local.
Il peut sembler que le Pakistan soit souvent à la Une des médias : les troupes occidentales en Afghanistan, les dons considérables offerts par les gouvernements occidentaux pour le développement et la stabilité du pays, la diaspora pakistanaise immense et dispersée aux quatre coins du monde. Tout ceci alimente l'intérêt international pour ce pays. Et quand on est sur place on a l'impression que le monde tourne autour du Pakistan.
Mais les médias parlent presque toujours de la politique, de l'économie, des combats, mais presque jamais de la population pakistanaise. Pendant que j'étais là-bas, j'ai vu des villages entiers détruits en une nuit par des catastrophes naturelles, et des milliers de personnes fuyant leurs terres natales suite aux combats les plus violents que le pays ait connu depuis des décennies.
Un jour, à Mardan, ville située à l'extérieur de la capitale provinciale de Peshawar, j'étais assis dans un camp de déplacés avec des hommes qui avaient fui Bajaur Agency, à la frontière afghane.
Alors que nous étions ensemble, leurs téléphones portables se sont mis à sonner. « Qu'est-ce qu'il se passe? », leur demandai-je alors que la réunion commençait à battre de l'aile. « Il y a à nouveau des hélicoptères au-dessus de notre maison, notre village est cerné par les milices... »
Naïvement, je croyais que tout le monde avait fui le village, mais certains avaient dû rester sur place pour veiller sur les membres de leur famille et sur leurs biens. Dans le chaos, les hommes avec lesquels j'étais assis essayaient de guider leurs proches et leur recommandaient d'être prudents.
J'ai entendu l'histoire de personnes qui ont passé un dernier coup de téléphone à leurs proches sans savoir si ceux-ci allaient survivre. Heureusement, je n'ai jamais connu cela moi-même, mais à ce moment-là j'étais entouré par des dizaines de personnes qui vivaient cette situation d'horreur.
Il y a tant d'autres histoires, comme celles de ces familles qui cherchent désespérément un refuge, courant avec un bébé dans les bras, ou encore ces familles qui s'enfuient sur la route alors qu'une attaque vient de se produire.
Et ces gens qui doivent prendre la fuite, mais ne peuvent tout simplement pas partir à cause des risques qu'ils encourent sur la route... trop dangereux de rester, mais encore plus de partir.
Le simple fait d'imaginer cette situation me remplit d'horreur. Mais il ne s'agit là que d'histoires parmi des milliers d'autres dont les médias ne parlent pas, qu'il est facile de manquer et d'ignorer, mais qui se produisent tous les jours. C'est la raison pour laquelle MSF a inclus le Pakistan dans sa liste annuelle des 10 principales crises humanitaires en 2008.
Les raisons d'une intervention humanitaire médicale au Pakistan sont évidentes, que ce soient pour soutenir un système de santé rural (y compris les soins maternels et infantiles largement négligés), pour répondre aux nombreuses catastrophes naturelles ou pour soigner les blessés après les fréquents combats entre forces gouvernementales et militants qui provoquent le déplacement de centaines de milliers de personnes.
Toutefois, fournir une aide au Pakistan n'est pas chose facile. Dans l'un des pays les plus chargés politiquement et militairement du monde, l'aide est très souvent perçue comme ayant des fins politiques ou suivant les gros titres des journaux plutôt qu'étant motivée par l'impartialité et mettant la priorité sur la population.
Ceci alimente la méfiance et le désenchantement de la population locale qui se demande « Pourquoi nous envoient-ils des bombes d'un côté, mais nous apportent des médicaments de l'autre? » L'assistance dont les gens ont besoin et qu'ils méritent est souvent liée à un plus grand agenda politique.
Je suis vraiment satisfait de la manière dont MSF reste neutre dans des situations aussi complexes et tente de venir en aide à ceux qui dépendent le plus de notre assistance. Nous offrons des soins comme peu d'autres organisations peuvent le faire.
Notre indépendance est extrêmement importante que ce soit en théorie, mais aussi en pratique, car sans cela certaines organisations risquent d'être mêlées à des considérations de politiques locales et internationales.
MSF occupe une position unique au Pakistan et c'est grâce à sa conviction et à des équipes dévouées et compétentes que nous sommes en mesure d'aider les populations les plus affectées par une situation hautement instable.