J'ai fait huit jours de route à travers cette jungle horrible. Nous nous sommes perdus durant le trajet. Nous avions laissé derrière nous un sac noir accroché à un poteau et des heures après, nous étions de nouveau face à ce même sac noir. Nous étions désespérés. Malades et désespérés. J’avais envie de vomir à cause de la chaleur, mon pied me faisait mal et j’étais épuisée. Je n’ai pas bien dormi pendant la traversée du Darién, mais qui pourrait bien dormir au milieu d’un tel cauchemar ?
Cette jungle est atroce, et abrite des groupes de personnes qui violent et tuent les migrants. J'ai vu un cadavre gisant dans la rivière. Il n’avait plus de tête et plus de peau, son corps était déjà en train de se décomposer. Il y a beaucoup de choses abominables que vous voyez et que vous entendez durant la traversée. Des hommes cagoulés ont voulu violer un groupe de femmes. Un de leurs maris a commencé à se battre avec eux et ils l’ont tué. Ensuite, ils ont violé les femmes. À ce moment-là, j'étais plus loin sur la route. Ce n’est que lorsque les femmes nous ont rejoints que nous avons appris cela.
Dans la jungle, les personnes qui n’arrivent plus à marcher sont laissées pour mortes. Un Chinois avait les pieds très enflés, ils étaient énormes et cassés. Il était au bord de la rivière. Mon groupe a essayé de l’aider, mais il était trop lourd pour qu’on puisse le porter. On l’a simplement déplacé un peu plus haut sur la berge, au cas où le niveau de l’eau remonterait. On lui a laissé une tente, un réchaud, de la nourriture et des médicaments, afin qu’il puisse continuer sa route lorsqu’il se sentirait mieux.