J’étais coordinateur de projets à l'est de la RDC, dans la région des Kivu, au Nord-Kivu. C'était un projet basé à Bambu, dans la région des Grands Lacs. Au niveau des opérations, c’était beaucoup de pédiatrie.
On était dans cette région, dans cette zone avec une majorité de personnes de la communauté hutue, dont des groupes armés qui étaient affiliés, notamment les FDLR, les Nyatura et d'autres groupes. Et un peu plus au nord, il y avait une majorité de personnes de la communauté hunde et nande, la communauté originaire de cette contrée. Il y avait des clashs entre ces groupes armés,des cycles de représailles, et lorsque les milices ou en tout cas, les groupes armés de la communauté nande attaquaient des hutus au nord de la zone où on était, il y avait des gens de la communauté hutue qui s'en prenaient aux gens de la communauté hunde et nande qui étaient très minoritaires à Bambu. Suite à différents incidents, notamment l'attaque de convois de commerçants, mais aussi des forces armées, les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) qui étaient basées à Bambu, on a vu des épisodes de violence assez importants. Il y avait aussi, sous l'émotion,des jeunes qui se regroupaient et qui attaquaient ou cherchaient les personnes de la communauté hunde et nande; ils saccageaient les maisons qu'ils attaquaient la nuit, qu’ils caillassaient, qu’ils brûlaient après et puis, ils s’en prenaient physiquement aux gens avec des attaques avec des machettes, avec des armes à feu également.
On avait reçu ce jeune, c’était un grand frère ou un papa qui avait été attaqué, qui essayait de rester dans la maison, et les jeunes essayaient de rentrer par effraction. Il tenait la porte, et en tenant la porte comme ça, il avait eu des doigts sectionnés par la machette. Ils étaient rentrés, il y avait son petit frère ou son fils, je ne sais pas, qui était un enfant qui n’avait pas plus d'une dizaine d'années, qui était couché, c'était de nuit, il devait dormir, il avait pris un coup de machette dans la nuque, pas mortel. Puis cette personne qui avait été blessée à la main, salement amochée, avait reçu par la suite deux balles dans la jambe et dans le torse en essayant de s’échapper.
Deux jours après avoir réduit l’équipe pour limiter les risques d’exposition, on a eu cet épisode d’échanges de tirs, et une balle a traversé une chambre du médecin référent de part en part et est passée à travers un écran, on avait un écran de TV qui ne marchait pas souvent mais on avait un écran, et elle a rebondi un peu partout; et de l’autre côté, une balle qui avait traversé la chambre de la logisticienne, et qui avait atterri là comme ça. C’était quand même chaud au niveau sécurité. Il y avait des jeunes qui avaient coupé l'arrivée d’eau de l’hôpital et qui étaient entrés avec des armes, des bâtons, des pics, des machettes et qui étaient entrés dans le bloc opératoire en recherchant le personnel médical de cette communauté huande ou nande, il y avait cette espèce de chasse partout. Il y avait des checkpoints qui avaient été installés aux sorties de la ville. Donc, il y a le directeur de la police et le commandant des FARDC, qui m'appellent qui me disent “voilà il y a une personne qui appartient au ministère de la santé congolais qui est dans cet hôpital”, une femme qui était visiblement très menacée de par son appartenance communautaire, elle était nommée, elle était ciblée. Ils me disent : “on est à l'hôpital mais il y a des groupes qui sont tout autour et nous, on ne va pas pouvoir tenir longtemps, et il y a un risque qu'ils attaquent l'hôpital”.
Nous, on avait une base avec un garde comme on en a ailleurs mais bien sûr pas armé. On avait des palissades en bois, donc on n’était vraiment pas plus sécurisés, protégés, je veux dire au niveau physique, que n'importe quelle autre structure. Sans qu'on puisse s'engager là-dessus, les FARDC l’ont escortée. C'était à 15 minutes de marche, ils l’ont escortée jusqu'à notre base, en tirant un peu en l'air pour que les personnes ne s'approchent pas. Entre-temps, il y avait une autre personne, un infirmier, qui venait d'un autre centre de santé, qui n’était pas un personnel MSF mais qui travaillait pour le ministère qui était de la même communauté, qui était venu se réfugier. C'était en début d'après midi et puis, je commence à avoir des coups de fil des notables : “on vous déconseille très fortement de garder cette personne-là pour la nuit parce que les risques d'attaque de votre base sont quand même très importants, il y a un fort ressentiment et c'est une personne qui est ciblée”. J'étais entré en contact avec les casques bleus de la MONUSCO, c'est la mission d'opérations de maintien de la paix et de stabilisation des Nations Unies, qui avaient eu vent des informations d'insécurité et qui avaient installé ce qu'ils appellent une mini-base temporaire avec un contingent de casques bleus indiens. L’idée, c'était qu'ils viennent chercher ces personnes à la base.
Avec une petite connaissance du fonctionnement des Nations-Unies, je tends à comprendre qu’il est très possible en fait que la brigade n'arrive pas jusqu'ici et donc qu'il faut absolument emmener ces personnes jusqu'à cette base-là. Il y avait notamment des checkpoints entre notre base et l'endroit où on devait amener ces personnes pour les mettre en sécurité. Inutile de dire que dans ces moments-là, c'est quand même assez tendu, assez lourd et puis, il faut prendre des décisions, et du coup, on avait préparé un véhicule, mis ces deux personnes. On a fait ce petit chemin, ce qui était assez particulier, j’en garderai un souvenir, c'était le regard, le visage de ces deux personnes qui se sentaient un peu sauvées, qui pouvaient être protégées et qui allaient être évacuées sur Goma, et donc qui étaient vraiment les larmes aux yeux, très reconnaissantes, pleines d'émotions, de peur, de terreur.
Et puis la deuxième chose, c'étaient ces militaires indiens qui étaient terrifiés, qui étaient complètement flippés, qui ne comprenaient pas, je pense, tout ce qui se passait mais qui avaient reçu cette mission de garder ce point-là pendant quelques jours et qui, quand ils nous ont vus arriver, pensaient vraiment qu'on allait tous venir. Donc ils avaient très peur de me voir repartir. Ils me disaient “mais vous repartez là-bas, on n'a pas accès, c'est super dangereux”. On leur a expliqué qu'on était installés, qu'on avait des relais et des contacts et autres.