[Podcast] NO FILTER #18 : « C’était la première fois que je me faisais tirer dessus »

no filter saison 4 ep 5
© Jean Mallard

Le dernier jour de sa mission en RDC, Sacha prend la route pour rejoindre Goma. En chemin, la voiture est interceptée par un groupe armé qui le kidnappe, lui et le chauffeur qui l’accompagne. Plongée dans les montagnes congolaises dans une course contre la montre pour retrouver les deux hommes. 

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J'avais fait trois mois de mission, c'était mon dernier jour. On avait fait une petite cérémonie,  et je partais le lendemain de Bambu. Il y avait cinq, six heures de route sur des chemins montagneux, boueux. Il fallait passer notamment par une partie du parc national des Virunga pour après retourner sur la route principale et se rendre à Rutshuru, puis de Rutshuru, retourner à Goma. 

On commence à partir avec un chauffeur. Il y avait eu des attaques de convois, pas sur les ONG mais sur les commerçants, sur le tronçon qui traversait le parc, avec du rançonnement de manière générale. C'était ça, des groupes armés qui demandaient de l'argent. 

On emprunte cette route et puis après cinq, dix, quinze minutes de trajet, on était encore assez proche sur la route, on aperçoit un milicien, une personne armée. Je me dis “bon c'est vrai que c'est bizarre” parce que je reconnais que ce n’est pas un soldat des FARDC a priori. Et puis moins d'une minute après, on voit au loin quatre autres personnes sortir, armées, des jeunes hommes. Ils nous braquaient, et venaient vers nous en courant avec les armes.

Très vite, ils demandent au chauffeur de s'arrêter. Ils nous demandent de sortir du véhicule, ils demandent les téléphones, surtout de mon chauffeur. On avait avec nous une “poupée”, on appelait ça comme ça à l'époque : c'était un gardien qui partait avec le chauffeur pour être là et qu'ils soient deux. Pour ce coup-là, c'était une gardienne qui s'appelait Jouissance. 

Très rapidement, ils prennent les téléphones et ils nous demandent de sortir. Ils prennent les sacs à dos. Ils laissent notre collègue Jouissance à la voiture et ils demandent au chauffeur et moi de partir en courant. Il me semble en tout qu’ils étaient six ou neuf. Ils étaient armés de kalachs, d’AK47.. On quitte la route principale. C'est une région qui est extrêmement vallonnée, donc on commence à cavaler, et il faisait déjà très chaud. Vraiment le souvenir que j'en ai, un cagnard ! Et donc, on monte, on descend, on va bien sûr à travers champs. On passe dans des petites rivières, dans les plantations de manioc, les bananeraies et ça ne s'arrête pas. Là, j'étais content de me dire que j'avais continué à courir pendant la mission parce qu’ils étaient super entraînés. Le chauffeur, qui était un peu plus corpulent que moi, avait plus de difficultés à descendre. Il est tombé une ou deux fois, je voyais que c'était un peu difficile pour lui de suivre.

Jouissance, qui était restée, a donné l'alerte à la base, et très rapidement l'information est passée auprès des acteurs armés locaux officiels, étatiques -les FARDC-, mais aussi auprès des groupes armés de la communauté hutue, qui a priori étaient contents de la présence de MSF, parce qu'on était dans les zones qu'ils contrôlaient. Ils n’avaient pas vraiment intérêt à ce que l'organisation parte. S’il y a un incident tel que celui-là, généralement ça veut dire potentiellement un retrait des activités. Donc il y a différents groupes, et après ça a été quasiment tout le village qui s'élançait dans une course poursuite, une chasse à l'homme de notre groupe. C'était assez dangereux puisque les jeunes qui nous prenaient étaient armés, et les gens qui nous poursuivaient étaient aussi armés, et nous, on était un peu au milieu. Il y a eu différents moments d’échanges de feu. C'était la première fois que je me faisais tirer dessus à la mitraillette… On a eu des cas où on l’entend, on voit mais quand on est la cible, c'est une sensation assez différente. Donc, on court et à un moment, le chauffeur collègue n'arrivait plus à suivre et au cours d’un échange de feu, il est resté, et on a continué. Ils ont dit “non, on garde le blanc”. J'étais au sol, je ne pouvais plus bouger. Il y a quelqu'un qui m'a chopé par derrière et tiré. Après j'ai continué à courir avec eux, ça a duré trois, quatre heures quand même. J'ai appris que parmi les personnes qui étaient venues pour nous aider, il y avait une personne qui avait été tuée ce jour-là. Auprès des ravisseurs, il y a eu un blessé assez important.

Sur les collines, on voyait que de l'autre côté, il y avait les villageois qui nous avaient vus, qui avaient informé tout le monde. On entendait des cris un peu partout, des tirs de balles, des machins... On était un peu acculés. Ils avaient très peur : les personnes qui m'avaient pris étaient assez jeunes, pas organisées; ils ne savaient pas trop où aller. À un moment, ils ont passé des coups de fil et moi, à plusieurs reprises, je leur disais - parce qu’ils ne m’avaient même pas fouillé, je suis resté avec mon téléphone et mon enveloppe sécu, tout ce que j'avais - je leur dis “on est les docteurs, on a de l'argent si vous voulez de l'argent”. À plusieurs reprises, j'ai même sorti l'enveloppe, j'ai sorti l’argent en disant “prenez ça au moins et partez, c'est bon !”

Bref, ça a continué un bout de temps jusqu'à ce qu’effectivement, au fur et à mesure, je pense qu'ils étaient un peu acculés, ils ont eu peur et donc, ils sont juste partis, et je suis resté derrière.

Là je me dis “bon, c'est déjà bien” mais les personnes qui me suivent derrière, elles ne savent pas que j'ai été libéré et elles tirent à vue. Ce serait très ballot de me faire blesser maintenant. Du coup, j'ai essayé de me mettre un petit peu à l'écart, enfin à l'écart, on est dans la forêt! J’essaie de trouver un endroit et je m'accroupis. Ils m'avaient fait enlever le visuel MSF, donc je le remets et puis je crie quelques mots en swahili. Juste après ça, j’entends trois détonations. Je ne sais pas si c’était vraiment ciblé vers moi, mais c’était vraiment très proche. Donc je suis resté accroupi, j'ai attendu - parce qu’il y avait plein de monde -  d’entendre les gens qui se rapprochaient, et une fois qu'ils se rapprochaient, j’ai re-crié plusieurs fois jusqu'au moment où j’ai vu trois personnes débouler avec des machettes à la main et qui m’ont attrapé et retiré. Ils ne savaient pas du tout combien de personnes m'avaient pris, ce qui se passait, ils avaient très peur.

En rentrant, il y avait une foule de plusieurs centaines de personnes avec des enfants, des femmes qui chantonnaient... Ça m'a tout de suite calmé. Ça allait en fait. Au final, j'ai retrouvé les équipes qui avaient été très inquiètes, forcément. C’étaient des moments assez forts pour une première mission avec MSF.

Notes

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