« Qu'est devenue cette femme souffrante qui est arrivée ici il y a quelque temps déjà ? Qu'est devenue cette femme qui a souffert plusieurs jours lors de son accouchement pour finalement mettre au monde un bébé mort-né ? Qu'est devenue cette femme incontinente, rejetée par son mari et sa famille ? Je ne suis plus cette femme. Je suis aujourd'hui guérie. Je chante parce que je suis heureuse. »
Ces mots sont ceux de Rabi, une jeune femme de 17 ans parmi les 57 femmes qui fêtent aujourd’hui leur guérison dans le cadre du projet de soins MSF des fistules vésico-vaginales. Rabi porte ses habits de fête. C'est la tête haute qu’elle accueille cet après-midi un groupe de fonctionnaires gouvernementaux et du ministère de la Santé et des responsables locaux.
L'événement, organisé à l'hôpital général de Jahun, est l'occasion de fêter le rétablissement de ces femmes, qui, comme Rabi, ont suivi un long traitement. Mais c’est avant tout une opportunité pour attirer l'attention des autorités sur cette pathologie, devenue un véritable problème de santé publique au Nigeria. 800 000 femmes en seraient atteintes. La précocité des grossesses ou le manque d’accès aux soins obstétriques expliqueraient la fréquence de cette pathologie. Les fistules sont dues à des accouchements difficiles provoquant le déchirement des tissus entre l’appareil génital (vagin) et excréteur (vessie). Souffrant d’une incontinence permanente et souvent d’infertilité, ces femmes sont stigmatisées et souvent rejetées par leur entourage.
Le théâtre pour sensibiliser
Chefs tribaux, fonctionnaires locaux, représentants des ministères de la Santé et des Affaires féminines ainsi que membres importants du réseau national nigérian de lutte contre la fistule ont été invités à cette cérémonie qui débute par une pièce de théâtre. L’objectif est de pointer du doigt la forte stigmatisation des femmes souffrant de fistule et les nombreuses fausses idées qui persistent sur ses causes et les moyens de la prévenir.
La pièce, écrite et jouée par le personnel MSF et par des patientes, s'ouvre sur une jeune femme pleurant au domicile de ses parents. Elle a mis au monde un enfant mort-né après trois jours de travail sans aide médicale. Depuis, elle souffre de fuites urinaires permanentes. Sa peau est à vif. Lorsqu'elle marche, sa jambe droite reste à la traine. Ces deux symptômes sont des problèmes courants après un accouchement difficile : la pression prolongée qu’exerce la tête du bébé contre le bassin de la mère interrompt l’afflux du sang dans les tissus mous et entraine leur nécrose.
Le rôle de la jeune fille, joué par l'une des infirmières, dépeint parfaitement la peur et la honte des femmes lorsque leur propre famille ne veut plus toucher aux objets souillés. La belle-mère fait pression pour que son fils divorce et accuse sa belle-fille de sorcellerie. Sur le conseil de la mère et d’un voisin, le père finit par donner son accord pour que la jeune fille aille se faire soigner à l'hôpital de Jahun, qui propose un programme de traitement de cette affection.
Les spectateurs sont alors témoins du parcours de soins de la jeune fille : préparation, chirurgie, soins postopératoires, prise en charge de la malnutrition et accompagnement psychologique. Après trois rendez-vous de suivi sans complications, la patiente est considérée comme guérie. Elle sourit fièrement. Sa démarche et sa voix sont désormais assurées. Bien coiffée, vêtue d’un pagne neuf, elle est prête à retrouver sa famille. Il ne s’agit pas seulement de santé, mais aussi de dignité retrouvée. « Ces femmes ont subi de terribles épreuves. Les fistules sont réparées par la chirurgie. Les personnes sont réparées par le soin », explique Bilkisu, éducatrice à la santé et conseillère psychosociale. C’est une véritable transformation à laquelle assistent les équipes MSF.
« Lorsque les patientes arrivent, elles sont généralement malnutries, déprimées. Au fur-et-à-mesure du traitement, elles deviennent plus fortes. Le soutien des autres patientes contribue aussi à une guérison totale, physique et morale. Elles chantent pour s’entraider. Elles ne font pas que guérir, elles retrouvent également leur dignité » ajoute, Katryn, infirmière MSF.
Au rythme des calebasses et de l’harmonie des voix, les patientes, les équipes soignantes et les invités se rassemblent sous les ballons et les banderoles. « C’est comme une fête d’anniversaire », remarque un invité. C’est juste, car pour ces femmes, la guérison est une vraie renaissance.
Chaque année, 400 femmes bénéficient de la chirurgie réparatrice des fistules à Jahun, au Nigeria, où ce projet a démarré en 2008.