C'est une femme qui devait être prise en charge en urgence pour une rupture utérine. MSF avait envoyé une ambulance la chercher pour l'amener à l'hôpital de Nyanzale, au Nord Kivu.
Le trajet en 4x4 avait duré près de deux heures sur de mauvaises pistes qui secouent. Mais la femme n'avait pas dit un mot.
Pas une seule fois, elle ne s'est plainte d'avoir mal, elle n'a rien dit alors qu'elle devait souffrir avec son utérus déchiré, se souvient l'infirmier MSF qui l'accompagnait.
Ce genre de cas est toutefois loin d'être exceptionnel dans cette province de l'est de la République démocratique du Congo qui est le théâtre d'un conflit depuis des années. Les équipes MSF voient régulièrement des patients ou des patientes tout aussi stoïques. Mais cela pose un problème.
La douleur est une notion très subjective et son évaluation nécessite la collaboration du patient pour une bonne prise en charge, explique Richard qui, en tant que médecin anesthésiste à l'hôpital de Rutshuru, a la responsabilité de la gestion de la douleur. Or, les patients ne s'expriment pas. Si l'on demande à un patient s'il a mal, souvent il répond que non », observe Richard.
Car la question est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Les patients dans cette région n'ont pas l'habitude qu'on leur demande s'ils ont mal et n'ont pas davantage l'habitude d'être traités pour la douleur. De plus, ils peuvent comprendre que cette question va au-delà de la simple douleur et porte plus globalement sur les soins qu'ils reçoivent. Compte tenu de ces difficultés à exprimer la douleur, il est difficile pour le soignant de l'évaluer.
La nécessité s'impose donc de persévérer et d'aller davantage au devant des patients en utilisant les outils habituels comme "l'échelle verbale simple" et en s'aidant des signes cliniques. Intégrer l'histoire du malade, la nature de son opération chirurgicale et naturellement les paramètres vitaux permet de pallier les difficultés à quantifier la douleur. Et pour assurer une bonne prise en charge, Richard donne systématiquement des analgésiques.
Cela permet, dit-il, de prévenir tous les désordres physiopathologiques que la douleur peut causer à l'organisme en particulier pour les patients opérés.
Quand le patient a reçu des analgésiques ou quand il s'exprime, le personnel soignant peut utiliser l'échelle verbale simple pour mesurer la douleur. Elle permet de quantifier de 0 à 3 l'intensité de la douleur, au vu des indications données par le patient. Les résultats sont consignés dans le dossier du patient et serviront à adapter le traitement en fonction de la réponse fournie.
Les équipes MSF ont mis en place cet outil dans l'hôpital de Rutshuru depuis qu'elles y interviennent, c'est-à-dire depuis 2005. Le personnel soignant est maintenant sensibilisé à la prise en charge de la douleur et sait qu'il s'agit d'un signe vital, tout comme le pouls, la tension artérielle, la température et la fréquence respiratoire.
Un traitement bénéfique
Depuis plusieurs mois, une femme souffrait d'un cancer du sein, elle s'était renfermée sur elle-même. Peu ou prou soutenue par son mari, cette patiente ne s‘exprimait plus, ne réclamait rien mais ne dormait presque plus à cause de la douleur.
Puis un infirmier a réussi à la convaincre de venir en consultation à l'hôpital de Rutshuru. Après évaluation, l'équipe MSF l'a mise sous une couverture analgésique.
Depuis lors, nous revoyons régulièrement cette dame qui a retrouvé non seulement le sommeil, mais aussi le sourire, indique le docteur Richard. Et, ajoute-t-il, un groupe de gens de son quartier est venu nous dire merci à l'hôpital pour l'aide que nous lui avions apportée.
Comme quoi, le traitement a vraiment fait du bien.