Je m'appelle L., j'ai 45 ans et je suis veuve depuis quatre ans. J'ai accouché de 12 enfants. Dix d'entre eux sont encore vivants.
En mai de l'année dernière, alors que je me rendais aux champs, j'ai rencontré cinq hommes armés. Ils ont tiré des coups de feu, puis trois d'entre eux sont partis. Les deux autres sont restés. Ils m'ont agressée. Ils m'ont violée.
De retour à la maison, j'avais peur et j'avais honte de ce qui m'était arrivé. Ma belle famille -la famille de mon défunt époux avec qui je vivais alors - était méchante avec moi. Je n'ai rien dit à personne.
Mais lorsque mes règles ne sont pas venues, j'ai eu peur d'être enceinte. J'ai pris des médicaments traditionnels contre la grossesse. Ca n'a pas fonctionné, j'étais bien enceinte. J'ai tenté de me suicider, en me jetant à l'eau, mais des hommes du village m'ont rattrapée.
J'ai essayé de cacher ma grossesse. Mais j'avais des malaises, je vomissais, et tout le monde a remarqué que j'étais enceinte. Après une sensibilisation dans mon village, je suis venue consulter à l'hôpital de Masisi.
L. a commencé à venir régulièrement en consultation, explique Francine, infirmière MSF, responsable des consultations pour les victimes de violence sexuelle.
Elle arrivait ici et elle pleurait, parfois pendant trois heures. Au début, elle ne disait rien, puis elle repartait. Nous lui avons beaucoup parlé. Nous l'avons soutenue, écoutée, réconfortée.
Sans ce soutien, reprend L., je me serais suicidée.
Cet enfant n'a pas de problème. Je dois l'accepter, l'accueillir et m'en occuper. Ma fille est innocente et aujourd'hui, je la regarde comme une vraie maman.
L., patiente à l'hôpital MSF de Masisi
La famille m'a rejetée, explique L. Je ne peux plus habiter chez elle. J'ai été accueillie par un voisin. C'est là-bas que je reste désormais. J'ai toujours besoin de soutien. Je suis stigmatisée et rejetée par ma famille, par certains de mes enfants, par ma communauté. Ils disent de moi : « une veuve qui accouche d'un enfant à son âge, c'est honteux.
Mes deux fils aînés sont au service militaire depuis longtemps. Un autre vit dans la rue, et lorsqu'il a appris que j'étais enceinte, il m'a fait parvenir des menaces de mort, pour le bébé et moi-même. Il disait qu'il nous tuerait tous les deux si j'accouchais d'un garçon, qui pourrait revendiquer plus tard des champs.
Aujourd'hui, L. tient une petite fille dans ses bras. Elle lui donne le sein.
Cet enfant n'a pas de problème. Je dois l'accepter, l'accueillir et m'en occuper. Ma fille est innocente et aujourd'hui, je la regarde comme une vraie maman.
Je dois être solidaire avec elle. Bientôt, je rentrerai dans mon village, toujours chez mon voisin. Je devrai certainement porter des colis pour gagner un peu d'argent, car j'ai été rejetée des champs par ma belle-famille.
J'aimerais un jour posséder ma propre maison, d'où personne ne pourrait nous chasser, ma fille et moi.