Vendredi, fin d’après-midi dans la communauté de Boitekong, située dans la région minière de la « ceinture de platine » au nord-ouest de Johannesburg. Les rues en terre battue sont pleines de mineurs au repos en bleus de travail multicolores. Un groupe d’hommes près d’un garage invite deux salariées de MSF à s’asseoir avec eux un instant. Ces deux femmes sont des agentes de santé communautaire. Elles parcourent chaque jour ces rues afin de sensibiliser la population aux graves conséquences sanitaires que peuvent entraîner les violences sexuelles. Elles expliquent aussi qu’il est possible de prévenir ou de ralentir l’évolution des maladies qui y sont associées, en se rendant rapidement dans un centre de santé pour y recevoir les soins appropriés. Elles tendent plusieurs cartes d’information aux hommes, ainsi que deux boîtes de préservatifs.
La plupart des gens qui vivent ici sont des migrants originaires d’autres régions d’Afrique du Sud ou d’autres pays d’Afrique. Venus ici pour travailler dans les mines, bon nombre d’entre eux ne trouvent pas d’emploi, en particulier les femmes, qui finissent par dépendre des hommes pour leur survie économique. Les conditions de vie sont difficiles et les infrastructures communautaires insuffisantes.
Sondela, une commune située dans les environs de Rustenburg. © Siyathuthuka Media
Une femme sur deux victime de violences sexuelles
Les actes de violences sexuelles sont particulièrement fréquents dans les communautés de la ceinture de platine. Les victimes, en majorité des jeunes filles et des femmes. Pour donner une idée de l’ampleur de la crise, en 2015, MSF a mené une étude dans les alentours de la ville de Rustenburg, près de laquelle se trouve la commune de Boitekong, qui a démontré qu’une femme sur deux entre 18 et 49 ans avait été soumise à des violences sexuelles, et qu’une sur quatre avait été violée au cours de sa vie.
Dineo Lekone* a été violée par un homme qu’elle connaissait la nuit de son anniversaire en septembre 2016. « Nous étions dans une boîte de Brits avec une copine et des amis à elle. Quand ma copine a disparu, mon ami m’a proposé de m’accompagner à une station essence acheter du crédit pour pouvoir l’appeler », se souvient Dineo.
Mais ensuite, plutôt que de la raccompagner à la boîte, l’ami de Dineo l’a conduite à son appartement où il l’a menacée de mort, lui disant qu’il la jetterait aux crocodiles si elle ne le laissait pas faire ce qu’il voulait d’elle.
Stigmatisation et manque d’information entravent les signalements
Sur les quelques 11 000 femmes et jeunes filles violées à Rustenburg et dans les environs chaque année, seulement 5% le signalent à une structure de santé.
Ce chiffre extrêmement bas s’explique par les stigmatisations des victimes de viol, ainsi que par le manque d’information à propos des traitements disponibles : le personnel MSF s’est rendu compte qu’une femme sur deux ignorait pouvoir se protéger du VIH tout de suite après un viol.
Toutefois, les services essentiels dont ont besoin les victimes sont grandement insuffisants. Selon un récent rapport de MSF, les trois quarts des structures de santé publiques qui ont été désignées comme fournisseuses de services aux victimes de viols – structures appelées « centres de santé Kgomotso » – ne sont pas en mesure de prendre pleinement en charge ces patients.
Un centre de santé Kgomotso, à Boitekong. © Siyathuthuka Media
Constance Phiri* a eu beaucoup de mal à bénéficier de soins, après avoir été victime d’un viol en réunion commis par trois hommes entrés par effraction chez elle en mai 2015. Elle a été amenée par la police au centre de santé communautaire le plus proche avant d’y découvrir que « la clinique ne disposait d’aucun infirmier médico-légal ni d’aucune trousse de prélèvements consécutifs à un viol ». Constance a dû être transportée à l’hôpital de Brits, à près d’une heure de route, pour accéder aux services médico-légaux dont elle avait besoin.
Sensibiliser et dépister les communautés à risque
Depuis 2015, MSF s’efforce de renforcer les capacités des centres de santé Kgomotso, afin qu’ils fournissent un ensemble complet de services médicaux (y compris médico-légaux), psychologiques et sociaux aux victimes de violences sexuelles.
Les équipes MSF s’efforcent aussi de sensibiliser les habitants aux soins proposés. Elles mènent des actions auprès des communautés et elles dépistent également la population dans divers contextes. Les agentes de santé travaillent chaque jour dans les campements de la ceinture de platine, alertant les personnes sur l’importance des soins pour les victimes de violences sexuelles. En novembre 2017, une campagne de sensibilisation a été lancée afin de mieux faire connaitre les centres de santé Kgomotso.
MSF a commencé par dépister les victimes de violences sexuelles dans les commissariats de police et les organisations locales d’assistance sociale afin de les orienter vers les services adéquats. Cette stratégie de tissage de liens semble porter ses fruits car le nombre de transferts effectués depuis ces institutions vers les centres Kgomotso ne cesse d’augmenter.
En Afrique du Sud, les 42 496 cas de viols rapportés par les services de police sud-africains en 2015/2016 ne correspondraient qu’à 4 à 11% du nombre réel de viols perpétrés.
Deux agentes de santé communautaire MSF à Boitekong. © Siyathuthuka Media
*Les noms ont été changés