J'aimerais, à travers ces photos, vous amener au plus près de la réalité quotidienne des gens, ici, à Homa Bay. Une ville parmi des milliers d'autres villes au monde qui luttent chaque jour contre les difficultés et les défis liés au VIH-Sida...
Journée mondiale du Sida
C'est aujourd'hui la journée mondiale du sida. Mais on parle peu du paludisme, de la méningite, entre autres maladies infectieuses opportunistes, sans oublier bien sûr la tuberculose.
Devant l'hôpital, au moment même où j'écris ces lignes, il y a une grande manifestation pour marquer cette journée. Pour certains, c'est un jour de deuil, pour d'autres, c'est l'occasion de célébrer la vie. Dans les blocs, c'est une journée comme les autres pour les docteurs et les infirmiers, et une journée de plus à se battre pour les patients.
La tuberculose est endémique dans un endroit comme Homa Bay où les gens vivent dans la pauvreté. Où les habitations sont sombres et surpeuplées avec plusieurs personnes partageant une seule pièce.
Le VIH détruit le système immunitaire et permet à la tuberculose de s'installer. Les conditions de vie contribuent à sa transmission. Le traitement contre la tuberculose est long et complexe.
Lilian, une patiente de Médecins Sans Frontières atteinte de tuberculose vient de faire une rechute. Un drain soulage ses poumons du pus qui les obstrue. Sur sa table de chevet, un petit sac à main, une tasse en plastic remplie de porridge, un chargeur de téléphone portable, de nombreux médicaments et un petit miroir rouge.
« Je veux pouvoir me regarder. C'est pour ça que je l'ai amené. Le matin, après ma toilette, je me regarde. »
Ses yeux sont vifs et curieux.
« Avant lorsque je me regardais dans un miroir, j'étais plus en chaire et plus jolie. Aujourd'hui je suis amaigrie et je ne me ressemble plus. » Lilian sait que, si le traitement réussi, elle pourra redevenir comme avant.
Bientôt, en regardant dans son miroir, elle sera de nouveau belle.
Jour 7 - Scènes de la vie quotidienne
Depuis quatre ans que je tente de montrer par mes photographies les vies de personnes atteintes du VIH -Sida, je suis toujours aussi surpris de constater que cet état de santé est aussi une condition sociale. Et dans un endroit où la prévalence atteint les 30%, le VIH - Sida n'épargne personne!
Les rituels du week-end incluent presque toujours des obsèques, qui se tiennent en général les vendredi et les samedi. Pour les personnes sous traitement anti-rétroviral (ARV), les rituels quotidiens sont ponctués par l'absorption quotidienne de comprimés, et des visites mensuelles chez le médecin.
Photographier l'épidémie a toujours été un challenge. Elle là, présente, partout et nulle part en même temps. On serait tenté de se concentrer sur les dispensaires, les hôpitaux où les patients viennent prendre leur traitement. Mais cela ne montre que l'aspect le plus évident de la maladie.
Bien sûr, on peut aussi montrer les images de la lente destruction des corps. On les a tous déjà vues, ces images. Le véritable défi est de montrer comment le virus imprègne chaque moment de la vie quotidienne. Montrer comment les gens vivent avec le VIH, mènent des vies utiles et comblées. Montrer comment leur présence est indispensable à ceux qui les aiment.
C'est là le vrai défi. Et c'est ce que j'ai essayé de faire à travers ces photos.
Jour 6 - L'espoir d'être grand-mère
Milka Anyango Odondi voudrait un jour être grand mère. Ce matin, elle a donné naissance à un petit garçon en bonne santé. Tous deux sont séronégatifs.
« Durant ma grossesse j'ai voulu connaître mon état », dit-elle. « J'ai voulu prendre toutes les précautions pour protéger la vie de mon enfant. Celui-ci est mon troisième et nous sommes tous séronégatifs. »
« J'ai bien pris soin de moi au cours de cette période. Je n'ai pas d'autres partenaires que mon mari et lui non plus. On tient l'un à l'autre. »
« Mon époux me dit qu'il fait un test tous les trois mois et qu'il ne voit pas d'autres femmes. On s'est posé tous les deux, on a parlé de nos vies et on s'est engagé à mettre tout notre amour en œuvre pour notre famille. »
« J'encourage mes amies à prendre soin d'elles et à ne pas entretenir de relations avec d'autres hommes. Si elles arrivent à rester en bonne santé, elles pourront s'occuper de leurs enfants plus longtemps. Si elles ont des aventures elles pourraient bien en mourir et laisser derrière elles des enfants en bas âge. »
« Moi, je veux être grand-mère. J'en rêve. Je veux vivre le bonheur de voir mes enfants grandir et j'imagine que j'aurais des tas de choses à apprendre aux plus jeunes quand je serai vieille. »
Jour 5 - Aujourd'hui, Henry va mieux
Aujourd'hui, avec Eric Aghan, le docteur MSF, j'ai rendu visite à Henry. Lundi dernier, nous l'avions vu inconscient en raison de la méningite dont il souffre.
Tout le monde était inquiet et se préparait au pire. L'enfant était toujours intubé et sous perfusion.
Hier, Henry a commencé à montrer des signes d'amélioration et le Dr Wanjala, du ministère de la Santé kenyan, a pu retirer les tubes. A son chevet, la mère du petit garçon s'exclame à notre passage : « Regardez docteur, Henry arrive maintenant à manger tout seul ! »
« Sans des soins appropriés et si cet enfant de trois ans n'avait pas eu accès à un traitement, tu ne serais pas en train de le photographier aujourd'hui, il ne serait qu'un chiffre de plus sur une longue liste de décès », ajoute Eric Aghan.
A l'hôpital, le travail continue. Dans le lit qu'occupait Henry, deux jeunes nouveaux patients sont intubés.
Jour 4 - Invisibles
Walter a douze ans et Charles en a dix. Ils sont seuls et invisibles.
« Personne de la communauté ne vient nous rendre visite ici. On nous regarde juste de l'extérieur », raconte Walter, en jetant un œil à l'extérieur de la maison où il vit avec son jeune frère.
Ils n'ont jamais connu leur père. Leur mère est décédée en 2002 et, en avril dernier, leur grand-mère aussi.
« Nous cultivons un peu et allons à l'école. Personne ne nous dit d'y aller. On y va parce qu'on a besoin d'apprendre. Je voudrais être docteur, c'est pour ça que j'y vais. »
Walter est le deuxième de sa classe. Charles, son jeune frère, est cinquième sur une classe de trente élèves.
Ces enfants sont d'une détermination étonnante face à la tragédie qui les frappe. Et ils se soutiennent mutuellement.
Charles : « Mon grand frère me donne toujours des conseils. Il me dit qu'on doit s'aimer l'un l'autre et ne pas casser nos affaires.»
Walter ajoute : « On a un peu de mal. Parfois je vais au lit la faim au ventre car il n'y a rien à manger. Parfois aussi, on n'a pas d'argent pour payer nos frais d'examen à l'école. »
Jour 3 - Le sourire de Steve
« Pendant deux mois, le petit Steve a été notre "carburant ", il nous a permis de nous accrocher », raconte le dr Rodrigo.
A son arrivée à l'hôpital, Steve était très malade. Le traitement anti-rétroviral de première ligne avait échoué pour lui. Et toutes les tentatives de l'équipe médicale semblaient vaines.
A douze ans, Steve luttait contre la mort.
Puis Steve a pu bénéficier d'un traitement de seconde ligne. Et on a constaté qu'il reprenait du poids. Un jour, il a même corrigé l'infirmière qui lui administrait son traitement, lui disant qu'elle venait de se tromper sur la dose.
« Lorsqu'un patient en vient à rectifier une infirmière, c'est le signe qu'il est prêt à prendre son traitement tout seul et qu'il est sur la bonne voie.»
Jour 2 - Des contrastes saisissants
Cette journée a été marquée par des contrastes saisissants. A
l'hôpital du district, j'ai vu les médecins et des familles au chevet
d'enfants gravement malades.
Comme Henry, âgé de trois ans et séropositif, laissé inconscient par une méningite dont il souffre en ce moment. Près de lui, les infirmières s'affairent autour de deux autres enfants tout aussi malades.
Plus tard, dans l'après-midi, j'ai fait la rencontre de Clinton, un jeune garçon de douze ans, séropositif lui aussi. Orphelin, depuis que ses parents sont morts du sida, il vit avec ses grands-parents. Je l'ai vu parcourir les 5km qui séparent sa maison de l'hôpital en courant, sans aucun effort.
Clinton a commencé à suivre un traitement en 2003 - deux ans avant la naissance du petit Henry. Cinq années plus tard, il est assez bien portant pour ne plus avoir besoin de traitement anti-rétroviral (ARV).
Sa grand-mère, comprenant que ces photos feront le tour du monde, veut partager un message :
‘Sans traitement, il n'y aurait presque aucun survivant dans ce district.'
Jour 1- Arrivée à Homa Bay
Située en bordure du lac Victoria, la ville de Homa Bay, est la capitale d'un district où vivent de 50 à 70 000 habitants.
Au Kenya, la prévalence du sida est difficile à évaluer. De récents rapports du gouvernement l'estiment à près de 30% dans cette région du Kenya.
Parmi les femmes enceintes, les chiffres sont encore plus élevés puisque 22 à 24% d'entre elles seraient séropositives. Sans traitement antirétroviral les risques de transmission à leur enfant est de plus de 40%.
A Homa Bay, MSF mène un programme qui permet de mettre près de 10 000 patients sous traitement anti-rétroviral (ART) qui seul, peut leur sauver la vie.
Parmi ces 10 000 patients, 1 053 sont des enfants. Mais traiter les enfants reste un énorme défi.
Souvent, les traitements ne leur sont pas adaptés et restent extrêmement difficiles à absorber. Et leur diagnostic également pose problème.
Les chiffres sont édifiants. Et il est difficile d'imaginer que derrière chaque chiffre, il y a des milliers de vies humaines pour lesquelles un diagnostic positif représente un verdict sans appel.