« Il pleut encore.
Bon, ce n'est pas de la neige (qui n'a heureusement pas refait son apparition depuis plusieurs semaines), mais il fait tout de même froid. Pas aussi froid qu’en hiver à Yellowknife, je dois l'admettre. J'ai d'ailleurs souvent l'impression d'être une mauvaise Canadienne à force de me plaindre du froid, mais l'absence de chauffage central et l'humidité signifient bel et bien que le froid s'installe durablement. Ma chambre est (plus ou moins) chauffée avec une sorte de chaudière à fioul qui, j'avoue, m'effraie un peu. J'ai peur qu'elle…
a) explose pendant la nuit et me tue instantanément
ou
b) qu'une sorte de gaz toxique s'en écoule et me tue à petit feu.
Mes inquiétudes ne m'ont pourtant pas empêchée de l'utiliser puisqu'elle permet d'obtenir un degré de chaleur ne nécessitant que quatre couvertures et deux couches de vêtements pour dormir. Faire de l'exercice n'est pas vraiment une option ici, mais rouler sous 5 kg de couvertures, c'est du sport ! Je ne sais même plus quel effet ça fait d'avoir chaud, de ne pas porter quatre couches de laine mérinos en permanence, de ne pas se coucher dans un lit aux draps froids et humides. Je rêve de pouvoir prendre autant de douches chaudes que je veux.
Et pourtant, je ne suis pas à plaindre. À moins de 10 km de l'hôpital se trouve un camp de déplacés qui s'agrandit de jour en jour. Les gens qui ont fui leur maison avec le peu de choses qu’ils ont pu emporter vivent maintenant sous des tentes qu'ils sont nombreux à partager avec leur famille. Ils ont peut-être eu la chance de recevoir des couvertures et un chauffage. Les bâches en plastique et en toile offrent cependant une protection très limitée contre le vent et la pluie. Quand il pleut, le camp est un véritable champ de boue. Il n'y a pas suffisamment de latrines, d'eau propre et d'équipements de chauffage.
L'absence de chauffage adapté n'affecte pas seulement la population du camp. Les pénuries de fioul sont légion et les prix ont grimpé en flèche. Les gens brûlent tout ce qu'ils trouvent pour se réchauffer et le font sans précaution. Quelles en sont les conséquences ? Une épidémie de patients souffrant de brûlures qui affluent à l'hôpital plusieurs fois par semaine. Leur visage et leurs mains sont toujours les parties les plus gravement brûlées. Ce sont souvent des enfants, qui se tiennent trop près des sources de chaleur ou qui jouent avec le fioul. Nous faisons de notre mieux : notre hôpital est petit, mais nous faisons les bandages nécessaires pour réduire les risques d'infection et fournissons des services de physiothérapie pour maximiser les chances de rééducation fonctionnelle.
Nous espérons qu'il va bientôt faire plus chaud.
Bien sûr, les violences se poursuivent également. MSF travaille dans la région depuis juin 2012, date à laquelle un petit hôpital de chirurgie traumatologique a été construit pour soigner les blessés de guerre. Aujourd'hui, la ligne de front s'est éloignée et le nombre de blessés récents diminue. Nous assistons toutefois à une augmentation des patients dits « tardifs », qui se sont fait soigner dans un hôpital ou un poste médical de terrain et qui viennent nous voir quelques jours plus tard pour un suivi. La chirurgie de guerre et le traitement des blessures de guerre sont très particuliers et diffèrent des autres types d’activités traumatologiques. En plus d'être souvent mal équipées en termes de matériel et de médicaments, les équipes ne sont généralement pas formées à la gestion de ce type de blessures. Dans certains cas, elles ne sont pas formées du tout. Nous soutenons un certain nombre de ces postes de santé périphériques et hôpitaux de terrain en distribuant des médicaments et du matériel et, parfois, en formant le personnel.
L'un de ces sites, assez éloigné de l'hôpital, est construit au sous-sol d'une mosquée. Cette configuration offre une protection contre le pilonnage, qui encore a lieu presque tous les jours dans la région. Dans cette structure aujourd'hui mieux éclairée (MSF a fait don d'un générateur), un groupe de jeunes hommes prodigue non seulement des soins de première ligne aux blessés de guerre, mais essaie également de prendre en charge les dizaines de patients qui viennent chaque jour pour des problèmes médicaux de routine : enfants souffrant d'infections respiratoires, personnes souffrant de tension et de diabète présentant des complications ou ayant besoin de médicaments, accidents mineurs, brûlures (là aussi). Je me suis rendue là-bas plusieurs fois pour former les équipes à la stabilisation des personnes atteintes de traumatismes et à la préparation du transport des patients. Le personnel est avide d'apprendre, et ils ont beaucoup à apprendre. En réalité, aucun d’eux n'a suivi de formation médicale. Avant le conflit, ils étaient étudiants, en droit, tourisme, ingénierie... Aujourd'hui, ils sont « infirmiers ». L'un d'entre eux étudiait la médecine, deux étaient dentistes. Ce sont les « médecins ». À chaque visite, nous abordons un sujet différent : stabilisation primaire, protocoles relatifs aux antibiotiques, transport sécurisé des patients, gestion des brûlures. Le processus est long et davantage ralenti par mon incapacité totale à parler arabe. Chaque jour, j'essaie d'apprendre une nouvelle phrase ou une nouvelle partie du corps. À ce rythme, je pourrais proposer mes services de traduction aux alentours de 2035...
Et malgré les violences et le froid, certains aspects de la vie quotidienne reprennent leur cours.
Aysha est arrivée à l'hôpital il y a quelques jours, peu avant 5 heures du matin. Enceinte, elle était en travail depuis plusieurs heures, mais n'arrivait pas à accoucher. Le bébé se présentait anormalement et son rythme cardiaque était changeant. Aysha était fatiguée. Elle avait passé plusieurs heures dans une clinique des environs, où la seule femme médecin de la région dirige un petit service obstétrique bondé. Mais cette dernière ne fait pas de césariennes et n'a pas pu réussir à contacter une ambulance pour transférer Aysha vers son hôpital de référence habituel, à 25 km de là. Elle savait que notre hôpital était spécialisé en traumatologie, mais elle savait également que nous comptions un chirurgien parmi notre équipe. Elle nous a donc envoyé sa patiente. Elle ne savait pas combien de temps il restait à Aysha pour accoucher en sécurité, le service d'ambulance ne répondait toujours pas et elle devait s'occuper d'une autre patiente en travail.
Aysha s'est donc présentée à notre hôpital, éreintée et souffrante, avec sa mère et sa sœur. Leur visage inquiet n'a pas été apaisé par mes paroles et mes gestes confus. Une fois encore, la barrière de la langue m'empêchait de communiquer, et cette fois-ci, j'étais livrée à moi-même, les particularités culturelles interdisant la présence d'un traducteur de sexe masculin à mes côtés. Un examen rapide a rassuré tout le monde : pour l'instant, le bébé d'Aysha était stable. En revanche, il était clair qu'elle ne pourrait pas accoucher par voie naturelle, et sans service, personnel qualifié ou matériel adapté pour surveiller son travail, il a été décidé qu'une césarienne était l'option la plus sûre pour elle. Elle a donc été emmenée au bloc opératoire, et 30 minutes plus tard, le premier bébé à voir le jour dans cet hôpital est né. J'ai eu l'honneur de lui donner un prénom. La mère s'est rétablie sans problème et est repartie avec son fils quelques jours plus tard.
J'espère qu'il grandira dans un pays en paix. »
Docteur Anne-Marie Pegg
Témoignage originellemet publié dans le Toronto Star
Le conflit en Syrie qui dure depuis maintenant deux ans est d’une extrême violence, il a fait plus de 70 000 morts selon les Nations Unies. Et la population syrienne est confrontée à une situation humanitaire catastrophique. Malgré des demandes répétées, MSF n’a pas reçu l’autorisation du gouvernement d’intervenir dans les territoires contrôlés par Damas. MSF a pu en revanche ouvrir trois hôpitaux dans le nord du pays où les secours restent très insuffisants au regard de l’ampleur des besoins.
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