Tu es arrivé au tout début de l’intervention, quels étaient les challenges des premiers jours ?
Pascal : Au début, c’est à flux tendu, tu découvres tous les jours, tu dois tout réinventer. Tout devient compliqué, tu dois faire attention à tous les détails qui te semblent anodins sur une autre intervention.
Rien n’est temporaire, tu ne peux pas décider après de faire des modifications. Par exemple, on ne peut pas réduire la zone des cas confirmés, une fois que la zone est infectée elle ne pourra pas être récupérée. Il faut réfléchir à tout ça avant alors que sur une intervention classique, on peut se permettre d’ajuster le tir en fonction de l’évolution de la situation.
Alors, avant de terminer la construction de l’isolement, on a aussi couché des dalles de béton au cas où le nombre de patients augmenterait. Ça nous permet de pouvoir réagir vite s’il faut agrandir la zone sans devoir travailler dans les combinaisons de protection.
Ici, on s’est installé sur les bases du centre de traitement du choléra existant, mais l’espace est réduit et le terrain est en pente. Ce sont des contraintes à intégrer. On a dû notamment réfléchir à l’évacuation des eaux contaminées. L’Ebola ne se transmet pas par l’eau mais il faut être sûr que l’eau ne va pas transporter des objets contaminés par exemple.
Pour construire, on a beaucoup discuté avec les médicaux : comment imaginent-ils les flux des patients, etc. Mon boulot, c’est de transformer leur idéal en quelque chose de réaliste. Je suis l’esprit terre-à-terre qui doit réussir à s’approcher de leur idéal.
Aujourd’hui, quelles sont les difficultés auxquelles tu te heurtes ?
Pascal : Il y en a plusieurs. Tout d’abord, pour l’instant, aucun des membres de mon staff ne veut rentrer à l’intérieur de la structure de prise en charge. Un des défis, c’est donc de sensibiliser le personnel guinéen pour qu’il se sente confortable à l’idée d’aller travailler à l’intérieur.
Ensuite, au niveau de la gestion des stocks et du matériel, il faut savoir que tout ce qui rentre dans la zone d’isolement n’en sortira pas. Bêtement, tout à l’heure, mon rouleau de scotch a roulé à l’intérieur, je ne peux plus l’utiliser. On est à 800 km de la capitale alors la chaîne d’approvisionnement est déjà très longue. Ici, on consomme beaucoup plus que sur une intervention classique.
On a aussi un problème avec le mobilier à l’intérieur. Pour l’instant, on cartographie l’intérieur, avec des aimants sur un plan pour identifier le mobilier afin de pouvoir préparer chacune de nos entrées. Il faut savoir de quoi on parle avec le staff médical : ils nous demandent de bouger tel ou tel lit, tel ou tel objet... On doit être sûr de faire le bon geste. On prépare toutes nos entrées minutieusement : les combinaisons sont tellement étouffantes qu’on peut difficilement rester plus de 30 ou 40 minutes dedans, et on ne rentre que maximum trois fois par jour. Les médicaux nous disent « il faut bouger un patient ». S’ensuivent 15 minutes de discussion pour savoir de quel patient on parle exactement, d’où ils veulent déplacer le lit, etc. Préparer une entrée, c’est 30 minutes de briefing pour décider des actions qu’on va mener, et on prépare avant tout le matériel à l’extérieur. Si on doit poser une barrière, on n’aura plus qu’à dérouler le rouleau et planter les piquets.
Il y a aussi la préparation morale quand on rentre pour un décès. On discute avec les médicaux pour savoir comment est le corps, s’il est couvert ou non... Et on débriefe à la sortie.
Tout à l’heure, tu parlais d’acheter du dentifrice et des brosses à dents pour les patients qui en ont fait la demande... ?
Pascal : Un Ebola de souche Zaïre, c’est jusqu’à 90% de mortalité alors on sait que beaucoup de nos patients ne sortiront pas de l’isolement. On fait un maximum : ce que veut le patient, il l’aura. Pour l’instant, les demandes ont été raisonnables : des desiderata sur les menus, de nouveaux pagnes... C’est facile à rendre possible et ça fait du bien. On essaie de faire un maximum.
Au sein même de la zone d’isolement, une terrasse permet aux patients de voir la lumière du jour. Mais ceux qui ne sont pas mobiles et ne viennent pas sur la terrasse ne voient que nos yeux, c’est extrêmement éprouvant.
On essaie d’améliorer leurs conditions de vie. Par exemple, on avait des patientes qui voulaient du café au lait le matin. On a fait rentrer le café, on a fait rentrer le lait... Il restait à faire rentrer l’eau chaude tous les jours. Ça a donné plus d’une heure de discussions, on a imaginé toutes les solutions possibles pour ne pas avoir à faire rentrer un nouveau thermos qu’on va devoir détruire chaque jour. Finalement, on a décidé qu’une personne en combinaison se tiendrait à l’intérieur avec le thermos et une personne plus légèrement équipée avec un autre thermos de l’autre côté, et qu’elles transvaseraient l’eau chaude sans contact.
Quelles sont les risques pour la sécurité du staff ?
Pascal : On garde toujours en tête la sécurité des gens, c’est le principal. On invente au fur et à mesure les solutions les plus judicieuses et les moins risquées. On essaie d’entendre les éventuelles inquiétudes du staff pour qu’ils se sentent à l’aise à l’intérieur de la structure et qu’ils puissent se concentrer sur le médical sans avoir l’esprit occupé par leur sécurité. C’est une concentration de tous les instants pour repérer tous les détails auxquels on ne pense pas sur une autre intervention.
Personnellement, je n’ai pas peur d’entrer dans la zone d’isolement, je crois que la confiance vient avec l’habitude. Surtout, je suis probablement la personne qui connaît le mieux la structure. Et puis je suis très concentré. A l’intérieur, on ressemble à des cosmonautes : les gestes deviennent plus lents, et je vérifie à chaque moment que je n’ai personne autour de moi. Une barre de métal que je transporte peut crever une combinaison et mettre en danger quelqu’un d’autre.
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