« A Gaza, dès leur plus jeune âge, les enfants sont exposés à la violence, à la mort, à la disparition de proches, d'êtres chers, à la peur et la tristesse. Ici les armes à feu, les obus, les bombes, les bombardements et autres tirs d'artillerie n'appartiennent pas au monde virtuel des jeux vidéo, mais sont une réalité dont beaucoup d'enfants sont les victimes.
L'histoire de Mohammed est celle de milliers d'autres enfants gazaouïs, exposés à la violence, qui voient passer des chars, des avions de guerre, assistent aux échanges de tirs et aux bombardements et ne peuvent se réfugier en un lieu sûr. Mohammed a été blessé en avril 2010, pendant une incursion de l'armée israélienne. Sa maison a été bombardée et, suite à la chute d'un pan de mur, sa jambe a été brisée. Opéré deux fois, un fixateur externe a dû être mis en place et il souffre aujourd'hui d'une sévère infection osseuse au genou gauche.
Lorsque Mohammed a été référé par notre équipe de soins de réhabilitation à celle de notre programme de soins psychologiques, il souffrait de sérieux troubles émotionnels. Toute nouvelle opération militaire était devenue source d'angoisse. Sa mère devait constamment le rassurer. Les nuits étaient les pires moments pour lui, l'obscurité le rendait encore plus vulnérable. Mohammed souffrait d'insomnies ou bien faisait des cauchemars où il revivait la nuit de son accident, où des soldats faisaient intrusion chez lui. Sa maison était devenue un endroit hostile où il ne voulait plus vivre.
A cela s'est rajoutée une grande solitude. Immobilisé par sa blessure, Mohammed ne pouvait plus jouer avec les autres enfants de la famille, ni avec ses amis. Lentement, il a été mis à l'écart. Personne ne voulait jouer avec lui de peur de lui faire mal. De plus, sa blessure infectée et son fixateur externe effrayaient les autres enfants. Mohammed est devenu triste, il était en colère, se disputait avec tout le monde.
L'état de sa jambe a empiré, l'infection gagnait du terrain et la menace d'être amputé a émergé. Faute de matériel et de personnel spécialisé, les médecins gazaouïs n'avaient pas d'autre solution à lui proposer que l'amputation. Mais tous les efforts de sa famille pour obtenir l'autorisation de le sortir de la bande de Gaza pour être pris en charge à l'étranger étaient refusées.
Lorsque Mohammed a été pris en charge dans notre programme de soins psychologiques, il était donc en grande détresse psychologique. Traumatisé, ne pouvant plus vivre une vie normale, celle d'un enfant de son âge, il était de plus très stressé par la peur de perdre sa jambe. Mon rôle en tant que psychologue est de l'accompagner, de l'aider à surmonter son traumatisme et à vivre avec ses angoisses.
La situation à Gaza est faite de trop rares hauts et de bas dévastateurs. Nous connaissons les limites de notre action. Malgré le suivi psychologique et les améliorations que nous constatons souvent, nous sommes aussi conscients que - dans ce contexte politique délétère, cette situation économique difficile aux conséquences sociales et familiales parfois dramatiques - personne n'est à l'abri d'une rechute. Nous travaillons souvent comme des funambules, tentant de trouver un équilibre précaire, d'aider nos patients à renforcer leurs ressources internes, de leur fournir des « outils » qui leur permettront de faire face, de continuer à vivre.
En ce qui concerne Mohammed, une nouvelle demande de référence médicale en dehors de Gaza a été effectuée mi-septembre 2010 et enfin acceptée. Mais cet accord arrive peut être trop tard : actuellement hospitalisé en Jordanie, Mohammed n'a toujours pas pu être opéré, l'infection de sa jambe s'est étendue et interdit, pour le moment, tout acte chirurgical ».
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