Peux tu nous décrire la situation humanitaire, mais aussi économique dans la bande de Gaza, d’où tu reviens ?
Du fait de l'embargo économique imposé par le gouvernement israélien (en rétorsion de la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas) et de la poursuite des tirs de roquettes sur le territoire israélien, les conditions de survie de la population ne cessent de se dégrader.
Si la nourriture et les médicaments ne sont pas directement concernés par les mesures d'embargo, l'impact du blocus sur l'économie de la bande de Gaza est néanmoins terrible. L'approvisionnement en fuel et électricité dépend de la bonne volonté des autorités israéliennes et peut s'interrompre à tout moment. Les échanges commerciaux avec Israël sont arrêtés et de nombreux programmes financés par l'Union Européenne ont été suspendus, faute d'accès aux matériaux de construction soumis à l'embargo.
Désormais, 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (estimé à deux dollars par jour et par personne) et le chômage touche plus de 60% de la population. Dans un tel contexte, les acteurs humanitaires - agences des Nations unies et les quelques ONG encore présentes sur place - jouent le rôle de « pompiers ». Tout en se défendant de devenir les auxiliaires des diplomates, ils renforcent leurs actions pour endiguer l'aggravation de la situation : 80% des 1,4 millions d'habitants de Gaza dépendent totalement des programmes d'assistance en nourriture des Nations unies et de l'aide extérieure.
Parce qu'il est illusoire de penser que l'on peut cibler le Hamas, chercher à l'isoler, sans sanctionner avant tout la population palestinienne, il n'y a rien de surprenant à ce que les habitants de Gaza vivent l'embargo et les privations qu'il implique comme une mesure de rétorsion disproportionnée. Leur ressentiment est chaque jour plus fort contre le gouvernement israélien, la communauté internationale « qui ne fait rien pour (nous) aider », mais aussi les groupes palestiniens qui se combattent désormais ouvertement depuis plusieurs mois. Sans perspective politique, la violence ne peut que s'accroître.
Quelles sont les conséquences dans le secteur de la santé ?
Les problèmes d'accès aux soins s'aggravent comme les conditions de prise en charge des patients. Le système de soins palestinien, s'il est affecté par les conséquences de l'embargo, est surtout devenu l'otage des luttes inter palestiniennes. Ainsi, on se souvient des violences commises au sein même des hôpitaux en mai et juin dernier.
Depuis, la situation est loin de s'être normalisée. Si les urgences ont continué à être assurées dans les hôpitaux, le suivi des patients, une fois sortis de l'hôpital, est très difficile et de mauvaise qualité. C'est ainsi que nous avons trouvé des dizaines de blessés, à leur domicile, avec des plaies infectées et de complications médicales graves, hésitant à se faire soigner dans les structures publiques de peur des représailles, ou tout simplement parce que les conditions de soins s'y sont dégradées du fait de l'absence de personnel.
Depuis juin, de nombreux agents de santé auraient été sanctionnés en raison de leur lien supposé avec tel ou tel groupe politique, ou parce qu'ils auraient décidé de faire grève pour protester contre la prise de pouvoir par le Hamas. Espérons, comme l'annoncent quasiment tous les représentants palestiniens avec lesquels j'ai eu l'occasion d'en discuter, que cette situation ne durera pas et que le fonctionnement des structures de santé sera protégé quoiqu'il advienne.
Qu’en est-il des actions de MSF ?
Depuis de nombreuses années, les activités développées par MSF répondaient à la forte demande de soins psychologiques des familles palestiniennes affectées par le conflit et l’occupation. Depuis quelques mois, MSF a progressivement adapté ses actions à l’évolution récente des violences et à la demande médicale qui change, en particulier dans la bande de Gaza.
Les violences inter palestiniennes qui ont suivi la prise de contrôle par le Hamas ont conduit MSF à envisager une aide médicale directe en faveur des nombreux blessés, souvent par balle, dans la bande de Gaza. Un programme de soins médicaux, de physiothérapie et de réhabilitation fonctionnelle a été lancé en juin dernier. Il a déjà permis de prendre en charge plus 210 patients ces trois derniers mois. Il associe des soins au sein d’une clinique MSF, située dans la ville de Gaza, et visites de suivi à domicile pour les patients rencontrant des difficultés pour se déplacer. Nos équipes reçoivent beaucoup de blessés par balle, beaucoup de jeunes, des civils à l’image de ces trois femmes aux jambes fauchées par une rafale de balles pendant que le chef de famille sautait par la fenêtre, pour échapper aux attaquants, se brisant ainsi les hanches. Deux à trois personnes se présentent spontanément, chaque jour, à notre clinique et une ambulance facilite les références.
Ce programme est en cours d’extension car il y a encore beaucoup à faire. Nous pensons que les besoins ont été nettement sous évalués suite aux affrontements de la mi-juin. Par exemple, en un seul jour d’exploration dans le Sud de la Bande de Gaza, notre équipe a identifié 24 patients blessés lors de ces événements et ayant toujours besoins de soins. Le transfert de certains blessés de la bande de Gaza dans des structures de réhabilitation palestiniennes de Cisjordanie est discuté, en coordination avec le ministère de la santé à Ramallah. Enfin, MSF a établi une liste de plus de 20 personnes en attente de soins spécialisés en chirurgie reconstructive, des blessés qui devraient être transférés vers la Jordanie où MSF a lancé - il y a 15 moins, en collaboration avec le croissant rouge jordanien - un programme chirurgical en faveur des blessés de guerre en Irak » . L’évacuation des patients palestiniens dépendra des autorisations que nous recevrons des autorités jordaniennes et israéliennes.
Même si le nombre de blessés civils diminue (en comparaison avec le passé), les confrontations entre l’armée israélienne et les groupes armés palestiniens se poursuivent. En fonction des besoins exprimés et pour répondre aux conséquences sanitaires de ces heurts, des distributions de médicaments et de matériel médical ont été réalisées par MSF, au cours des derniers mois, dans plusieurs structures de santé de la bande de Gaza. Sans parler de rupture de stocks massive, des manques existent néanmoins sur certains médicaments, notamment pour certaines pathologies chroniques, mais pas uniquement.
Enfin, MSF a récemment évalué les besoins dans le domaine pédiatrique en particulier dans le nord de la bande de Gaza où la situation sanitaire apparaît particulièrement fragile avec l’augmentation des cas de typhoïdes, méningites et diarrhées. Une action pourrait prochainement être lancée dans cette zone.
Est ce que les conditions de sécurité sont réunies pour poursuivre ces actions ?
Comme sur tous les terrains de crise, la seule façon de pouvoir travailler pour une organisation de secours comme MSF est de développer et d'entretenir des contacts avec l'ensemble des acteurs au conflit pour expliquer notre mission médicale et de secours.
A Gaza, comme à Naplouse ou Hébron - où des équipes MSF sont aussi présentes - c'est parce que les belligérants reconnaissent notre neutralité que nous pouvons travailler. Le risque zéro n'existe pas en situation de guerre. Comment minimiser cependant l'exposition de notre personnel ?
Notre indépendance est la garantie de notre sécurité et de notre capacité à aider les populations. Pendant mon séjour, pour évaluer comment notre action été perçue, j'ai été amené à rencontrer des représentants du gouvernement palestinien et de l'administration israélienne, comme des représentants du Hamas et du Fatah. Tous m'ont, à ce stade, assuré de leur souhait de voir MSF poursuivre son action et fait part de leur satisfaction quant aux activités développées.
Notre programme en chiffres Plus de 210 patients pris en charge (94% d’hommes, 4% de femmes et 2% d’enfants). Environ 16 nouveaux patients admis chaque semaine. 107 pansements effectués en moyenne chaque semaine : 66% pour des blessures infectées. 60% de nos patients reçoivent un traitement anti-douleur et 75% des antibiotiques. 147 sessions de physiothérapie, en moyenne, chaque semaine pour des blessures simples ou multiples, des fractures, des amputations…