Nous sommes revenus le lendemain et avons procédé à l’évaluation de chaque patient, avec une question-clé : est-ce qu’il pourrait supporter un voyage de 20 heures, pendant lequel le niveau d'équipement n’est pas celui d’une unité de soins intensifs ? Le train médicalisé reste relativement sommaire. Son aménagement est amené à se renforcer si on parvient à renouveler l'opération. La veille du départ, nous sommes revenus plus tôt pour effectuer une nouvelle évaluation de tous les patients et nous assurer qu’ils étaient stables à 100 %.
Nous avions un doute concernant un enfant de trois ans qui présentait de graves blessures abdominales. Sa mère nous a dit : « Mon enfant va mourir pendant le transfert. » J’exerce la pédiatrie depuis 30 ans et j’ai expliqué à toutes les équipes que lorsqu’une mère vous dit cela, elle ne se trompe pas. Nous avons évalué l’état de cet enfant trois fois avec les responsables de l’hôpital. Le jeudi matin, l’enfant retournait au bloc opératoire et nous sommes tous arrivés à la même conclusion : il n’était pas en état d’être transféré. Nous avons pris cette décision collégialement.
Je me souviens aussi d'une femme qui avait été blessée au visage suite à une explosion. Elle avait perdu son œil droit. Le mardi avant le départ du train, nous avons demandé à ce qu’elle nous envoie une photo, car nous devions évaluer son état et nous ne pouvions pas rester à l’hôpital à cause du couvre-feu. Au lieu de nous envoyer une photo de sa blessure, elle nous a envoyé une photo d’elle avant l’explosion. La première chose qu’elle nous a dite, lorsque nous sommes revenus à l'hôpital, c’est : « Je veux redevenir belle. Pour mon mari. Pour mon enfant. » Les histoires de ces quelques patients ne sont pas exceptionnelles, c’est le quotidien de milliers de personnes en Ukraine.