Cela fait près de 25 ans, que les premiers Somaliens fuyant la guerre dans leur pays , arrivaient dans le camp de réfugiés de Ifo, au nord-est du Kenya. Aujourd’hui c’est le plus grand camp de réfugiés au monde.
Pour les milliers de personnes qui vivent à Dadaab, les options sont limitées. Il y a quelques mois, un des patients du programme de santé mentale de Médecins Sans Frontières s’est suicidé lorsque sa demande d’asile dans un pays tiers a été refusée. Cette histoire tragique est symptomatique d’un lieu où des centaines de milliers de personnes vivent prises au piège, sans espoir d’un avenir meilleur.
Quelques 350 000 réfugiés sont aujourd’hui condamnés à vivre dans ces camps situés en territoires semi-arides, près de la frontière avec la Somalie. Ils doivent obtenir des permissions pour chacun de leurs déplacements dans le pays, y compris pour recevoir une aide médicale d’urgence.
A Dadaab, la population dépend presque exclusivement de l’aide humanitaire. Quelques rares chanceux reçoivent une aide financière de leur famille qui vit à l’étranger, mais pour la majorité, l’espoir de subvenir eux-mêmes à leurs besoins reste illusoire.
Dépendre de l’aide humanitaire d’urgence signifie, dans le meilleur des cas, vivre avec 20 litres d’eau par jour. C’est aussi vivre dans un abri fait de toile en plastique. C’est recevoir une ration alimentaire mensuelle qui peut être suspendue sans préavis pour des raisons de financement ou d’approvisionnement - deux éléments dépendant de la « générosité » de la communauté internationale, elle-même fluctuante selon les différentes crises humanitaires dans le monde, qui absorbent une partie des budgets et des réserves disponibles destinés à l’aide humanitaire globale.
Le 11 juin dernier, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a annoncé – pour la deuxième fois en sept mois – que les rations alimentaires pour les camps de réfugiés au Kenya seraient réduites d’au moins 30% jusqu’au mois de septembre si des fonds supplémentaires n’étaient pas obtenus.
Quelles issues pour les réfugiés? En théorie, ils ont trois options : rentrer volontairement dans leur pays d’origine, être déplacés dans un autre pays ou recevoir l’autorisation de s’installer dans le pays où ils ont trouvé refuge en premier lieu. En réalité, très peu de réfugiés à Dadaab demandent à être rapatriés en Somalie où la guerre fait rage. Beaucoup sont nés dans les camps et ont peu, ou pas, d’attachement à la Somalie. Parmi ceux qui demandent à être déplacés vers un pays tiers, quelques dizaines seulement reçoivent une réponse positive chaque année. Et pour ce qui est de s’installer au Kenya, l’unique option est de demeurer dans les camps, ce qui équivaut à une peine de prison à perpétuité.
Dadaab, solution temporaire, est devenu une situation bien trop permanente. À l’heure actuelle, la seule stratégie sérieusement considérée est le rapatriement des réfugiés en Somalie. Une attention politique significative ainsi que des fonds sont mis en œuvre pour la « construction d’un environnement propice en Somalie », censé favoriser le retour volontaire des réfugiés.
Il est inacceptable que cette stratégie soit la seule considérée sur le terrain.
Il faut chercher d’autres solutions. Il revient à la communauté internationale d’apporter son soutien au gouvernement kényan pour les proposer. Observer la situation de loin, éviter d’assumer les responsabilités, il est temps de partager le fardeau.
En outre, les camps sont perçus comme une menace pour la sécurité du Kenya. Les réfugiés sont devenus des boucs émissaires, contraints de subir les conséquences de la guerre contre le terrorisme.
La détérioration de la situation sécuritaire touche gravement toute la population kényane. Les conséquences se manifestent de manière aiguë dans les camps, où la population dépend entièrement de l’aide internationale. Il y a trois semaines, suite à des incidents en périphérie des camps, MSF a été forcée de réduire ses activités médicales en retirant 42 de ses employés pour des raisons de sécurité.
A mesure que le temps passe, la situation à Dadaab devient de plus en plus insoutenable. Tant que les réfugiés restent à Dadaab, il faut leur offrir des conditions de vie dignes et des perspectives d’avenir.
Les gouvernements impliqués, les acteurs internationaux et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) doivent faire face à la réalité et assumer leurs responsabilités, afin de ne pas laisser le gouvernement et la population du Kenya porter seuls ce fardeau. Il n’existe pas de résolution facile à ce problème qui dure depuis des décennies et il n’est pas de notre ressort de définir les solutions politiques, mais d’autres possibilités existent. Pourquoi si peu de volonté de permettre aux réfugiés de s’installer à l’étranger, de les déplacer dans des camps de taille décente plus faciles à gérer, ou de développer des moyens leur permettant de devenir plus autonomes?
C’est aujourd’hui le moment de faire des choix difficiles afin de définir des solutions pérennes. Des vies sur deux générations ont été mises en suspens pendant un quart de siècle. Il est de notre devoir de rendre leur dignité aux centaines de milliers de réfugiés contraints de vivre dans une prison à ciel ouvert.
Cet article a été initialement publié dans le Daily Nation, un journal kényan.