• Deux semaines plus tôt : les prémices de la violence
Cela faisait plusieurs semaines qu’on savait qu’ils se rapprochaient… On nous a dit qu’ils étaient à 60 kilomètres. Puis, il y a deux semaines, lors de notre visite hebdomadaire au centre de santé de Yongofongo qui se trouve à 25 kilomètre de Bangassou, nous sommes tombés nez-à-nez avec des gens qui fuyaient le village. Ils nous ont dit qu’un groupe armé y avait pris le contrôle et avait tué trois civils sur le marché. Une quatrième personne qui cherchait à s’enfuir avait selon eux été poursuivie, rattrapée et tuée.
Ensuite il y a eu l’affrontement lundi dernier entre le même groupe armé de Yongofongo et les forces armées onusienne (MINUSCA), qui s’est soldé par cinq morts et 10 blessés du côté des casques bleus et un nombre de victimes inconnu et une dizaine de blessés du côté du groupe armé.
• Samedi 13 et dimanche 14 mai : un week end de panique et de chaos
Ainsi, quand les tirs ont commencé à Bangassou samedi matin vers 3 heures, on ne peut pas dire que j’ai été surpris. Préparé ? Nous étions prêts à prendre en charge les blessés, nous avions mis en place un plan de contingence à l’hôpital. Une tente avec 18 lits supplémentaires a été installée pour accueillir les blessés. Mais peut-on être préparé à la panique et au chaos ? Au sentiment d’impuissance quand on sait que des personnes blessées ont besoin de nous, alors qu’on est incapable d’aller les chercher sans risquer sa propre vie ? Que d’autres risquent de se faire tuer ? A la fatigue engendrée par cette tension constante ? Je ne sais pas si ce sont des choses auxquelles on peut se préparer…
Tout s’est passé très vite. Quand les coups de feu ont commencé à retentir dans le quartier Tokoyo, le quartier musulman de la ville, tout le monde a fui dans la direction opposée, cherchant dans la nuit un refuge : chez des amis, à l’église, à la mosquée, dans l’enceinte de l’hôpital… Un afflux de personnes et puis plus rien. Les seules personnes qui osaient s’aventurer dans les rues étaient les hommes armés. Pas un bruit, sauf les coups de feu.
A l’hôpital, nous avons reçu 22 blessés dans la journée du samedi, quatre autres dimanche. Dès le début des violences, des habitants ont cherché refuge dans l’enceinte de l’hôpital. Près de 500 personnes sont arrivées là, s’installant dans la cour, dans les couloirs, en espérant que les combattants n’attaqueraient pas une structure médicale. Elles ont peur. Certaines sont complètement traumatisées, comme cette habitante du quartier Tokoyo qui est arrivée en compagnie de son mari, en plein délire, les yeux remplis des violences qu’elle venait de voir : les voisins qui tombent sous les balles, les coups de machettes, les maisons pillées, brûlées… Elle a été immédiatement prise en charge par notre équipe psycho-sociale et s’est un peu calmée. Elle attend désormais avec sa famille dans la cour de l’hôpital de voir comment va évoluer la situation. Nous vivons dans l’instant, toujours prêts à réagir. Nous sommes la seule organisation à Bangassou capable de fournir une aide médicale d’urgence.
• Lundi 15 mai : des blessés encore hors d’atteinte
Ce lundi matin, nous sommes tout particulièrement préoccupés par le sort des hommes, des femmes et des enfants qui se sont réfugiés dans la mosquée du quartier Tokoyo. Nous mettons en place un appui pour ceux qui se sont réfugiés à l’hôpital, la mission catholique fait de même pour ceux qui se trouvent à l’église, mais les personnes qui sont dans la mosquée sont coupées de tout. Depuis deux jours, ils n’ont ni eau, ni nourriture alors que la température avoisine les 30 degrés. Parmi eux, il y a des blessés et les corps de ceux qui ont été sauvagement assassinés lors de l’attaque de samedi matin. Dimanche soir, l’évêque de Bangassou a réussi à escorter quelques femmes et enfants de la mosquée vers l’église et quelques personnes traumatisées ou légèrement blessées vers l’hôpital.
De notre côté, nous avons finalement pu nous rendre à la mosquée où nous avons commencé à offrir des soins d’urgence. Nous avons identifié 25 blessés, dont cinq dans un état nécessitant une intervention chirurgicale. Nous n’avons pu en soigner que 10 : les tirs ont repris autour de nous et nous avons dû partir en urgence, laissant les blessés et quelques 250 personnes dans la mosquée.
La ville de Bangassou est méconnaissable : des hommes armés qui tirent partout, des hélicoptères de combat qui survolent la ville. Nous craignons le pire si rien n’est mis en place pour assurer la protection des civils.
La situation s’est légèrement améliorée depuis la rédaction de ce témoignage, lundi 15 mai. Les assaillants ont quitté Bangassou et les personnes réfugiées dans la mosquée ont pu la quitter dès lundi soir. Les équipes de MSF ont ainsi pu reprendre leurs activités à l'hôpital et des cliniques mobiles destinées à prendre en charge les cas graves de paludisme, gastrite et autres pathologies parmi la population déplacée.
EN SAVOIR PLUS
► Retrouvez notre dossier consacré à la crise frappant la République centrafricaine.
EN SAVOIR PLUS► Retrouvez notre dossier consacré à la crise frappant la République centrafricaine.