« Les violences sexuelles ont toujours été un problème en Haïti. Avant le tremblement de terre, de nombreuses organisations haïtiennes faisaient de la prévention contre ces violences et soignaient les victimes. En 2010, lorsque le tremblement de terre a frappé le pays, nous avons observé une augmentation des violences sexuelles. Ce phénomène est courant : dès qu'un désastre se produit, que ce soit une catastrophe naturelle ou le déclenchement d'une guerre, le taux de violences sexuelles augmente considérablement. En parallèle, la plupart des organisations qui s'occupaient des victimes de violences sexuelles ont disparu. Ce fut une sorte de « double coup dur » : une large augmentation des violences sexuelles associées à une perte de services…
Plus de cinq ans ont passé depuis le tremblement de terre, pourtant, nombreuses sont les personnes qui vivent encore dans la précarité et dans des camps de déplacés surpeuplés. Cette situation fait courir aux femmes des risques de violences sexuelles. De plus, les services qui étaient disponibles auparavant n'ont toujours pas été remis en place.
Cette année à Port-au-Prince, après avoir mené une évaluaton, Médecins Sans Frontières a mis en place un nouveau projet destiné aux victimes de violences sexuelles. Grâce à la présence d'un médecin et d'un psychologue disponibles 24h/24, la clinique offre des soins médicaux et psychologiques complets aux victimes ayant subi des violences sexuelles. Nous recevons beaucoup de patients le week-end et la nuit, lorsque les autres cliniques sont fermées. À leur arrivée, tous les patients sont reçus pour une consultation psychologique. Ensuite, nous organisons un suivi en fonction de leurs besoins. Mon rôle était de mettre la clinique sur pied, d'assurer la supervision médicale et de prendre les décisions liées aux aspects médicaux du programme. J'ai recruté tout le personnel médical de la clinique et organisé leur formation. J'ai également accompagné le personnel médical durant les consultations avec les premiers patients et répondu à leurs questions.
Travailler avec la communauté
L’un de nos rôles les plus importants est la sensibilisation au problème des violences sexuelles et la promotion des services que nous mettons à disposition des victimes. Notre équipe de travailleurs communautaires est incroyable. Ils sont tous hautement qualifiés. C'est vraiment fantastique de les voir travailler. Nous avons beaucoup collaboré avec la communauté et les églises, et avons tenu des sessions d'information dans les commissariats de la ville. Nous avons aussi visité des écoles et travaillé avec les enfants sur des problématiques telles que l'égalité des genres. Nous avons également offert une formation aux enseignants afin qu'ils soient davantage en mesure d'identifier les enfants et adolescents à risque.
Chacun des cas que nous avons observés était compliqué, touchant, éprouvant et émouvant. Ils étaient également très variés. Plus d'un tiers des patients était âgés de moins de 18 ans. Un pourcentage important de ces cas était composé de jeunes filles. Les violences sexuelles pouvaient avoir été commises par des partenaires intimes, par des personnes connues des victimes, ou bien par des inconnus. En effet, un grand nombre des victimes que nous rencontrons est attaqué dans la rue, par quelqu'un qu'elles n'ont jamais vu ; cela représente environ la moitié de nos patients.
Le nombre d'enfants qui ont subi des violences sexuelles est interpellant. L'une des choses que j'ai trouvées intéressantes et frappantes était que, bien souvent, ces filles ne comprenaient pas les implications de ce qui leur était arrivé. En Haïti, nous prenions en charge beaucoup de jeunes filles de 12 ou 13 ans et généralement la mère était beaucoup plus bouleversée que la fille. Il est très difficile pour la jeune fille de comprendre ce qui lui est arrivé et ce que cela implique pour elle. Dans certains cas, cela peut prendre un peu de temps avant qu'elle ne s'en rende réellement compte et, bien que le soutien médical et psychologique qu'elle reçoit soit crucial, elle sera probablement marquée pour le reste de sa vie.
Un aboutissement incroyable
Marie* était âgée de 15 ans, lorsqu'en revenant du marché, elle a été violée par plusieurs hommes qu'elles ne connaissaient pas. Quand elle l’a raconté à ses parents, son père lui dit : « Tu as déshonoré la famille, tu t'es déshonorée, tu ne te marieras jamais, ne reviens jamais à la maison ». Après l'avoir battue, il l’a jetée à la porte de la maison.
Quand Marie est venue à la clinique de Médecins Sans Frontières pour les victimes de violences sexuelles à Port-au-Prince, elle était dans une grande détresse et n'avait nulle part où aller. Nous avons pu lui éviter une grossesse non désirée, une contamination par le V.I.H. ainsi que par d'autres maladies sexuellement transmissibles.
Nous avons également pu lui offrir un endroit où rester quelques jours. Durant cette période, nos travailleurs sociaux et nos psychologues ont travaillé avec elle et organisé une rencontre avec son père. Nous avons mis en place des sessions supervisées avec Marie et son père et donné à ce dernier l'occasion d'exprimer ses peurs et les raisons de sa colère. Après quelques jours de discussions et de négociations, ils sont parvenus à se réconcilier et il a accepté qu'elle revienne chez eux. Cela a donc été un aboutissement incroyable. Alors qu'elle s'apprêtait à partir, elle est venue vers moi, m'a embrassée et remerciée pour tout ce que nous avions fait. J'ai été très touchée. »
*Le nom a été modifié afin de protéger l'identité de la patiente