Hussein et Ziad, 15 et 14 ans, sont cousins et vivent à Silwan, un quartier de Jérusalem-Est, situé à proximité de la vieille ville et de la mosquée Al-Aqsa où les affrontements entre Israéliens et Palestiniens sont courants. Les 30 000 Palestiniens qui habitent Silwan doivent faire face à la menace constante des démolitions de maisons alors même qu’un plan de la municipalité prévoit de convertir une partie du quartier (Al-Bustan) en un parc national appelé « Le jardin du roi David ».
Hussein et Ziad ont été arrêtés avec quatre autres jeunes il y a deux ans environ. Ils ont été accusés d’avoir commis plusieurs infractions : tentative de poignarder un colon, jets de cocktails Molotov, jets de pierres… « La liste était longue, mais nous n'avons rien fait de la sorte », assure Ziad.
Ziad a été incarcéré pendant quatre jours, Hussein pendant deux semaines. Une fois relâché, Hussein a été condamné à une période de six mois de détention à domicile. Pendant un temps, il fut contraint de vivre dans la maison de sa tante. Ce fut, selon lui, la période la plus pénible. Il ne pouvait pas aller à l'école ou voir ses amis. « J'étais à la maison, je surfais sur internet, je regardais la télévision, rien d'autre… », explique Hussein, un grand garçon qui, d’un air nonchalant, a constamment les yeux rivés sur son téléphone portable afin de vérifier les dernières mises à jour sur sa page Facebook. A la fois timide et arrogant, l’adolescent affirme que depuis qu’il est revenu vivre avec ses parents, la situation s'est améliorée et qu’il a été autorisé à retourner à l’école. « J'ai raté trop de cours que je ne peux pas rattraper. Je reste là à regarder le tableau noir. Mais en fait, je ne veux pas aller à l'école, je veux juste travailler ». Ziad, plus petit et costaud, hoche la tête en lançant un « Moi aussi ! Et le plus tôt sera le mieux. »
Selon les psychologues de MSF, beaucoup d'enfants arrêtés, emprisonnés ou maintenus sous détention à domicile, finissent par abandonner l'école. S'ils sont chanceux, ils feront des petits boulots pour un maigre salaire, sans véritable avenir.
Après avoir servi le thé et des boissons fraîches, la mère d’Hussein s’est assise dans le modeste salon. Silencieuse, elle semble préoccupée. Souvent, elle lève la tête et observe une photo encadrée suspendue en haut d’un mur, la photo de son fils aîné, qui lui est toujours en prison.
Une fois libéré, Hussein a bénéficié des soins du projet de soins psychologiques MSF, récemment ouvert à Jérusalem-Est. Selon le psychologue, Hussein était hyperactif, agressif au début du traitement ; il avait notamment des flashbacks de sa période d’emprisonnement par la police. Les séances, combinées à son retour au domicile parental, ont entraîné une nette amélioration de son état. Hussein se vante à propos de l'école : « Nos camarades nous ont dit qu'on leur avait manqué, qu’on était des supers amis et qu’on était devenus mieux qu’avant… » La prison, un rite de passage, un moyen de faire-valoir instantané.
Interrogés sur le fait qu’ils soient considérés par les autres élèves comme des héros, la réponse est directe, immédiate : « Pas du tout, au contraire, beaucoup de nos camarades ont déjà fait de la prison, ça n’a rien de nouveau. » Sur leurs poignets, deux bracelets minces de fils tressés. « Les prisonniers les ont faits pour nous. Ils nous les ont donnés juste avant qu’on parte. Ils les ont faits avec des serviettes effilochées. » Est-ce qu’ils ont peur de retourner en prison? De se retrouver face du juge? « Non, disent-ils, Ici, c’est normal et d’ailleurs, nous n’avons rien fait de mal. »
MSF a noté une augmentation substantielle du nombre de mineurs traités dans ses programmes de soins psychologiques à Hébron et à Jérusalem-Est (près de la moitié des patients). Les enfants sont les témoins directs ou indirects des affrontements entre Palestiniens et Israéliens. Lesmembres de leur famille sont détenus ou ils sont eux-mêmes incarcérés (à partir de l'âge de douze ans, ils peuvent aller en prison et sont considérés comme adultes à partir de seize ans). Ils sont également des témoins et des victimes des affrontements avec les colons, des restrictions de mouvement imposées par l'armée israélienne et des combats internes entre groupes palestiniens. Beaucoup d'enfants souffrent d'isolement, font des cauchemars la nuit, sont constamment en état d’alerte et développent des comportements agressifs. La tension constante peut aussi causer des problèmes physiques comme un état de fatigue intense, des douleurs, des troubles du sommeil et des pertes d'appétit. Ces réactions naturelles peuvent s'avérer dangereuses pour les enfants et leurs familles si les problèmes ne sont pas traités à temps car ils peuvent avoir un impact irréversible sur le développement de l'enfant.