Cyclone à Mayotte : après l’urgence, l’accès aux soins et à l’eau reste limité

Alors que Médecins Sans Frontières (MSF) met un terme, après trois mois, à ses activités d’urgence d’aide aux victimes du cyclone Chido, la situation reste extrêmement précaire notamment pour les habitants des bidonvilles qui souffrent d’un manque chronique d’accès aux soins et à l’eau potable. Mehdi El Melali, coordinateur médical d’urgence de MSF à Mayotte, dresse le bilan des activités passées et souligne le manque de réponse pérenne de l’État.
Quel est le bilan de l'aide d’urgence apportée par MSF à Mayotte ?
Entre mi-décembre 2024 et mi-mars 2025 nous avons mis en place des cliniques mobiles pour apporter des soins au cœur des bidonvilles, principalement dans le nord-est et le centre de l’île de Grande Terre. Au total, nous avons réalisé plus de 6 600 consultations. Plus de 50% des pathologies que présentaient les patients étaient liées à un manque d’accès à l’eau, telles que la teigne, les diarrhées et les maladies de peau.
En parallèle, nous avons donc mené des actions pour améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement, notamment en installant ou en réparant des points d’eau, en mettant en place des systèmes de traitement ou en organisant la distribution d’eau potable.
La phase aiguë de l’urgence étant désormais terminée, nous avons transféré une partie de la gestion de nos projets à des associations sur place, notamment en ce qui concerne les activités d’accès à l’eau et à l’assainissement ainsi qu’une partie des cliniques mobiles sur trois des cinq sites où nous intervenions. Mais des solutions durables ne pourront être mises en place qu’avec un engagement actif de l'État.
Quels constats avez-vous fait sur place en termes d’accès aux soins et à l’eau ?
À la suite du cyclone, le gouvernement a réalisé quelques distributions d’aides et de nourriture dans les bidonvilles, mais elles ont été aléatoires et insuffisantes.
Pourtant, plusieurs personnes au sein même des autorités de santé locales étaient conscientes des besoins des habitants des bidonvilles et avaient envie d’apporter une aide. Certaines nous ont d’ailleurs été d’un grand soutien à titre individuel. Malheureusement, leurs efforts et volontés n’ont pas été soutenues par les institutions. De façon générale, l’Etat a apporté très peu d’aide dans les bidonvilles et ce sont principalement les associations qui se sont organisées pour pallier ce manque.
Le manque d’engagement de l’Etat face à l’urgence a mis en lumière et exacerbé une situation déjà dramatique. Avant le passage du cyclone, trois quarts de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté, deux tiers n’avaient pas accès aux latrines et un tiers à l’eau potable. La mortalité maternelle est six fois supérieure à celle de la métropole, la mortalité infantile quatre fois plus élevée, et on dénombre quatre fois moins de praticiens de santé.
Depuis des années, de nombreux freins dissuadent la population des bidonvilles d’aller se faire soigner. Par exemple, contrairement au reste du territoire français, l’Aide Médicale d’État (AME) ne s’applique pas, ce qui crée une barrière financière pour les personnes en situation irrégulière. De plus, l’accès au seul hôpital de l’île est entravé par des obstacles géographiques : les chemins à travers les montagnes et la forêt rendent les trajets à pied difficiles et les habitants des bidonvilles doivent donc souvent payer un taxi. A cela s’ajoute la crainte des contrôles de police pour les personnes étrangères. Il est très fréquent que des personnes se rendant à l’hôpital soient arrêtées par la police aux frontières, placées en centre de rétention, puis expulsées. De façon indirecte, les expulsions massives et expéditives de personnes étrangères laissent des foyers privés d’un ou plusieurs de ces membres et des enfants orphelins qu’il devient par exemple impossible d’affilier à la sécurité sociale. Cette situation, déjà critique, s’est aggravée après le cyclone avec l’augmentation de la présence policière et des contrôles sur l’île.
Concernant l'accès à l’eau, le cyclone a endommagé les structures existantes, aggravant une situation déjà précaire. C’est le cas en particulier dans les bidonvilles où les autorités françaises n’organisent pas l’installation de systèmes d’eau pérennes afin d’empêcher les habitants, notamment comoriens, de s’y installer durablement.
Comment les inégalités d’accès à l’eau et aux soins mettent-elles en danger la population des bidonvilles de Mayotte ?
Boire de l’eau insalubre entraîne des diarrhées, des infections cutanées et favorise la propagation des maladies, comme le choléra ou la fièvre typhoïde. Cette maladie endémique à Mayotte, refait surface chaque année. L’année dernière, environ 45 cas avaient été recensés, mais cette année, plus de 50 cas ont déjà été confirmés en seulement six semaines (de mi-janvier à février), et de nouvelles suspicions apparaissent quotidiennement. La dégradation de l’accès à l’eau après le cyclone a directement contribué à cette recrudescence. En réponse, l’Agence Régionale de Santé a lancé une campagne de vaccination, immunisant entre 3 000 et 4 000 personnes dans les zones les plus touchées. Cependant, seule une amélioration durable de l’accès à l’eau potable permettra de réellement freiner la propagation de cette maladie ainsi que l’ensemble des maladies hydriques.
Les conséquences du manque d’accès aux soins sont multiples. Par exemple, les maladies chroniques ne sont majoritairement ni dépistées, ni traitées, ni suivies. Dans nos cliniques mobiles, nous avons eu beaucoup de patients souffrant d’hypertension non contrôlée, avec des niveaux alarmants, rarement observés en métropole. Sans prise en charge, cela expose à des risques d’accidents cérébraux. Il en va de même pour le diabète : s’il n’est pas diagnostiqué, il peut entraîner de graves complications, allant de la perte des membres aux crises cardiaques. La troisième maladie chronique que nous avons identifiée comme problématique à Mayotte, c'est l'asthme. Les gens ne savent pas qu’ils sont asthmatiques donc lorsqu’une crise survient, cela peut les tuer. Toutes ces complications potentiellement fatales ne le seraient pas si les pathologies étaient dépistées en amont, prises en charge à temps, ou si les personnes étaient incluses dans les plans de prévention.
Le cyclone Chido n’a fait que mettre en lumière une souffrance qui perdure à Mayotte depuis des années. La présence limitée de l’État dans l’aide apportée aux bidonvilles après la catastrophe est le reflet d’une politique générale qui restreint l’accès aux services de base pour les étrangers. Si les soins d’urgence, comme ceux du SAMU, restent accessibles, l’absence de prise en charge pérenne les expose à de graves conséquences pour leur santé sur le long terme.