Tribune. Monsieur le Président,
En réponse à votre lettre « Pour une renaissance européenne » [publiée lundi 4 mars], dans laquelle vous appelez à « une Europe qui protège à la fois ses valeurs et ses frontières », je prends la liberté de m’adresser directement à vous pour partager ce que je vois au quotidien, en Libye, des conséquences de cette entreprise européenne de protection des frontières et des sacrifices des personnes et des idéaux sur lesquels elle repose.
Je travaille pour Médecins Sans Frontières (MSF) en Libye, où notre organisation est présente dans neuf centres de détention pour réfugiés et migrants, à Tripoli et dans la région centrale autour de Misrata, essayant de couvrir les besoins médicaux d’environ 3 000 personnes. Leur vulnérabilité est absolue, leur destin dans des mains arbitraires et notre présence, ainsi que celles d’autres acteurs humanitaires, parvient à peine à leur venir en aide.
Les principes dont l’Union européenne se réclame sont fondés sur le rejet de la violence basée sur une appartenance ethnique, nationale ou religieuse. En Libye pourtant, nous voyons des gens qui souffrent de détention arbitraire, de mauvais traitements, de sous-nutrition, de torture. Nous parlons ici aussi de femmes, de nourrissons, d’enfants non accompagnés, détenus dans des conditions inhumaines, et ceci sur la seule base de leur origine et de leur statut administratif.
Le rapport glaçant du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies publié en décembre 2018 (qui faisait suite à un rapport similaire publié en 2016), les multiples prises de parole d’ONG internationales (dont MSF), les nombreux reportages de médias reconnus n’ont eu aucun impact sur la réalité quotidienne dans les centres de détention libyens. Le nombre de migrants qui y sont maintenus est estimé à 5 700. Parmi eux, environ 20 % de femmes et d’enfants et 75 % de personnes considérées comme relevant de la responsabilité du Haut Commissariat pour les réfugiés. Ils restent des mois en détention et rien ne pourra les protéger des violences physiques et psychiques, et parfois des enlèvements, qui ont toujours cours. Aucune alternative à la détention pour ces personnes n’existe en Libye.