Gaza : « les blessures de guerre mettent à l'épreuve un système de santé sous embargo»

Gaza juillet 2009. Soins post opératoires à domicile.
Gaza, juillet 2009. Soins post-opératoires à domicile. © Isabelle Merny / MSF

Après l'offensive israélienne de janvier dernier, de nouvelles nécessités médicales et sanitaires ont amené MSF à augmenter ses activités pour pallier certains manques spécifiques : soins post-opératoires et kinésithérapie, soins de santé mentale, chirurgie... Jean-Luc Lambert, chef de mission pour les Territoires occupés palestiniens, revient sur les activités de MSF et évoque leurs développements pour 2010.

Qu'a fait MSF cette année pour répondre aux besoins post-guerre dans la bande de Gaza ?

«Dans les jours qui ont immédiatement suivi les trois semaines de l'offensive israélienne, MSF a ouvert un centre d'urgences chirurgicales sous deux tentes hospitalières gonflables pour répondre à l'afflux de cas en traumatologie. MSF prenait en charge la chirurgie orthopédique et plastique pour les patients blessés pendant l'offensive israélienne et nécessitant plusieurs interventions, permettant ainsi aux structures débordées du Ministère de la Santé de se concentrer sur les urgences. Ce programme d'urgence et de suivi après la phase critique a duré de janvier à juillet 2009. Au total, 84 interventions orthopédiques et 278 opérations de chirurgie plastique ont été réalisées.

Pour répondre aux besoins en soins post-opératoires et en kinésithérapie, MSF a ouvert une 3ème clinique dans le Nord, particulièrement touchée pendant l'offensive israélienne, et a augmenté jusqu'à 8, le nombre d'équipes mobiles spécialement dédiées à ces activités, donnant ainsi de meilleures chances de guérison aux patients opérés. En 2009, 1 116 personnes ont été prises en charge et par les équipes ont réalisés 65 000 actes de soins. L'inclusion récente d'un programme de microbiologie a constitué un apport important à notre programme post-opératoire, car la résistance aux antibiotiques est très élevée à Gaza ; il devrait permettre de fournir des prescriptions correctes et, généralement, de mieux gérer les patients présentant des plaies infectées.

L'effet psychologique de l'offensive israélienne a été dramatique, surtout pour les enfants, et notre équipe de psychologues a dû être renforcée pour pallier l'afflux de patients. 370 nouveaux patients ont été pris en charge par nos équipes pluridisciplinaires (psychologues, médecins, assistante sociale). Plus de la moitié d'entre eux dont avaient moins de 12 ans. La majorité, présentant des troubles psychologiques sévères liés aux traumatismes de la guerre (Post traumatique Disorder) a pu bénéficier d'une thérapie courte ayant pour objectif d'atténuer la souffrance psychique et d'accompagner la personne vers un retour à la vie normale. Pour plus de 78% de nos patients, cet objectif a été atteint.

Le programme pédiatrique qui avait été ouvert en février 2008 - dans le nord de la bande de Gaza, en réponse à la détérioration générale de l'offre de soins courant 2007 et à la surcharge du seul hôpital pédiatrique de référence - a fermé en septembre 2009, d'autres acteurs intervenant désormais sur ce secteur. Au total, plus de 11 000 consultations ont été menées en 19 mois d'activités.

Quels sont les projets de MSF pour l'année à venir ?

Lors de la dernière guerre, MSF a pu réagir rapidement en équipant des membres de son personnel (para)médical palestinien de kits médicaux d'urgence afin de prendre en charge des patients vivant dans leur voisinage immédiat. Une telle stratégie pourrait être réutilisée si nécessaire. De même, les tentes hospitalières gonflables d'MSF ont été démontées et entreposées. Pour venir en aide au ministère de la Santé, elles pourraient êtres, si nécessaire, remontées rapidement pour pratiquer les premiers soins et éventuellement faire de la chirurgie.

Nous allons élargir les critères d'admission dans notre programme de soins post-opératoires aux cas de brûlures accidentelles sévères qui nous seront envoyées par l'hôpital Al Shifa, le seul service de grands brûlés dans toute la bande de Gaza. Ces patients nécessitent des soins spécialisés et de kinésithérapie que nous pouvons leur offrir. Afin d'augmenter l'accès aux soins et de soulager les autres structures de la zone, nous allons ouvrir une quatrième clinique de soins post opératoire à Rafah, au sud de la bande de Gaza, à la frontière égyptienne.

Le traumatisme psychologique qui touche la population de Gaza est lourd. Nombre de familles et d'enfants nécessitent un soutien psychologique et une psychothérapie. Beaucoup de patients vivent dans des zones où MSF ne pouvait, jusque-là, être présente du fait des restrictions de mouvement ou de l'insécurité. Ces personnes ont besoin de soins. MSF fera ce qu'il faut, l'année prochaine, pour atteindre ces patients isolés et en difficulté. A cette fin, un psychologue supplémentaire sera recruté.

L'afflux de blessés de guerre, la gravité des blessures, la durée et la spécificité de certains traitements ont mis a l'épreuve le système de santé déjà fragilisé par l'embargo. Aujourd'hui, les structures médicales comme celles d'MSF continuent encore à soigner les plaies qui se sont aggravées au fil des mois. Après un an, 85 patients victimes de la guerre sont encore en suivi dans notre programme de physiothérapie. Certains attendent encore leur prothèse pour se remettre à marcher, d'autres d'avoir accès à de la chirurgie réparatrice orthopédique ou plastique pour limiter les complications fonctionnelles et/ou esthétiques de leur blessures. Les listes d'attente en chirurgie reconstructrice sont parfois très longues et Gaza continuera vraisemblablement pendant de long mois encore à panser les plaies de cette guerre.

Pour répondre à cette difficulté, l'équipe MSF est en discussion avec le ministère de la Santé pour mettre en place un programme de chirurgie plastique en 2010. Nous prévoyons de travailler dans un hôpital situé au Nord, dans une autre structure située dans la région centrale et dans un dernier établissement situé au Sud. Nous avons déjà 55 patients sur liste d'attente et d'autres devraient encore être envoyés par notre programme de soins post-opératoires. »

Retour sur l'intervention d'urgence à Gaza Dès le déclenchement de l'offensive israélienne en décembre 2008 et janvier 2009, MSF a immédiatement réagi en soutenant les hôpitaux de Gaza, ainsi qu'en effectuant des donations de matériel médical et de médicaments. Pendant les 22 jours d'offensive, du fait de l'intensité des bombardements et de l'insécurité, nos cliniques n'ont pas pu fonctionner. Certains de nos personnels palestiniens ont été équipés de kits médicaux d'urgence pour pouvoir assurer des soins de proximité. Notre clinique de soins post-opératoires de la ville de Gaza est resté ouvert, mais peu de patients ont pu rejoindre les structures de santé.

Le 3 janvier, la situation sécuritaire a empiré avec le début de l'offensive terrestre et de la guérilla urbaine. Enfin le 18 janvier, le cessez-le-feu est déclaré par les forces israéliennes. Une équipe chirurgicale et 21 tonnes de matériels (dont deux tentes hospitalières gonflables) parviennent à entrer dans la ville de Gaza.

MSF décide de concentrer ses activités sur la chirurgie spécialisée et secondaire (5 à 8 opérations par jour). 323 patients supplémentaires ont été pris en charge dans notre programme de soins post-opératoires et de kinésithérapie. Enfin, les soins psychologiques sont eux aussi renforcés, notamment pour les personnels de secours (ambulanciers, urgentistes...) particulièrement exposés pendant la guerre.

Du côté de la Cisjordanie
A Hébron et à Naplouse, MSF mène un programme psycho-médico-social à destination des populations souffrant des conséquences de traumatismes liés aux conflits externe (israélo-palestinien) et interne (inter-palestinien). Via des thérapies courtes, nos équipes tentent de soulager la souffrance psychologique de ces patients. En fonction des besoins, les patients peuvent être référés à des médecins et travailleurs sociaux de MSF, ainqi qu'à d' autres structures et organisations d'aide.

En mars-avril, nos équipes psy de Hébron ont noté un accroissement des demandes, une conséquence probable de la guerre de Gaza. En effet, suite à l'offensive israélienne de janvier, les incursions, arrestations et manifestations ont été plus nombreuses et fréquentes sur la Cisjordanie. Nos psychologues ont pris en charge les personnes touchées par ces événements violents.

A Naplouse, s'il y a moins de morts liés au conflit israélo-palestinien, le harcèlement moral continue et génère de la violence. Sous contrôle de l'Autorité Palestienne le jour, c'est la nuit , lorsque l'armée israélienne gère la ville, que les incursions sont les plus nombreuses. Les colonies quant à elles continuent une expansion justifiée par leur "croissance naturelle". On compterait 500 000 colons au total en Cisjordanie (dont 200 000 à Jérusalem Est), avec une dizaine de colonies rien que sur la zone de Naplouse.

Notes

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