Guerre à Gaza : quelle prise en charge pour les enfants et ados blessés et traumatisés ?

Shahed, 16 ans, à l'hôpital MSF d'Amman en Jordanie. Le 9 décembre 2023, elle a été blessée lors d'une frappe israélienne qui a tué son père et sa sœur. Elle a dû être amputée d'une jambe en raison de ses blessures. 29 août 2024.
Shahed, 16 ans, à l'hôpital MSF d'Amman en Jordanie. Le 9 décembre 2023, elle a été blessée lors d'une frappe israélienne qui a tué son père et sa sœur. Elle a dû être amputée d'une jambe en raison de ses blessures. 29 août 2024. © Moises Saman/Magnum Photos

Depuis le 7 octobre 2023, plus de 95 000 personnes ont été blessées à Gaza par les attaques israéliennes, dont plus de 12 000 ont besoin d’une évacuation médicale urgente. Seule une infime partie des blessés palestiniens ont été autorisés à quitter ce territoire sous blocus strict, à l’issue d’un processus long et opaque au cours duquel l’approbation des autorités israéliennes est nécessaire. À l’hôpital de chirurgie reconstructrice MSF d’Amman, en Jordanie, les équipes soignent les quelques enfants gazaouis qui ont pu être transférés après une première évacuation depuis l’Égypte. Le Dr Ahmad Mahmoud Al Salem, psychiatre MSF, explique les spécificités de la prise en charge de ces patients. 

Quels sont les problèmes en santé mentale que les équipes MSF ont observés chez les Palestiniens venus de Gaza depuis le 7 octobre ? 

De nombreux patients venant de Gaza à l’hôpital d’Amman souffrent non seulement de troubles de stress post-traumatique, mais également de syndrome de stress aigu. Beaucoup ont été témoins de la destruction de leur maison, des meurtres de leurs frères et sœurs, et certains ont subi des blessures qui ont bouleversé leur vie.  

© Moises Saman/Magnum Photos

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Ce sont des traumatismes exceptionnels. Psychologiquement, il leur est impossible de gérer tout ce stress. Le syndrome de stress aigu se caractérise par de nombreux cauchemars et flashbacks, ainsi que par une humeur maussade, des insomnies et une tendance à l’évitement des souvenirs traumatiques. Si un patient souffre de ce trouble pendant plus d’un mois, il s’agit alors d’un syndrome de stress post-traumatique.

Même si ces patients ont quitté Gaza, ils peuvent subir de nouveaux traumatismes, en apprenant le décès d’un proche ou d’un membre de leur famille. Ils développent alors un nouveau trouble de stress aigu, et font face à un traumatisme complexe. Il ne s’agit pas d’un traumatisme unique, mais d’une séquence de traumatismes. 

Comment les équipes de santé mentale de MSF traitent-elles les patients qui souffrent de ces troubles ? 

Tout dépend du diagnostic. Si les patients souffrent de dépression ou d’anxiété, nous leur donnons des médicaments et prodiguons une thérapie cognitivo-comportementale. Mais si un patient souffre de stress post-traumatique, nous basculons sur une thérapie d’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR), qui est une désensibilisation spécifique, ainsi que sur une psychothérapie de soutien. 

Karam, 17 ans, a failli mourir après que la maison de sa famille a été rasée par une frappe aérienne israélienne. Il a subi de graves brûlures au visage et sur d'autres parties du corps, ainsi qu'une blessure sérieuse au bras. 
 © Moises Saman/Magnum Photos
Karam, 17 ans, a failli mourir après que la maison de sa famille a été rasée par une frappe aérienne israélienne. Il a subi de graves brûlures au visage et sur d'autres parties du corps, ainsi qu'une blessure sérieuse au bras.  © Moises Saman/Magnum Photos

En général, lorsqu’un événement traumatisant se produit, le cerveau ne se contente pas de sauvegarder la scène, il sauvegarde également l’émotion associée à la scène. Ainsi, lorsque nous voulons traiter un traumatisme lié à un problème psychologique, nous devons essayer autant que possible de déconnecter la souffrance des éléments inscrits dans la mémoire. Par exemple, si quelqu’un a été brûlé et qu’il se souvient du kérosène et du feu sur son bras, il aura le souvenir de la douleur, mais aussi le souvenir de la peine qui a suivie. 

Avec l’EMDR, l’objectif est de redonner de l’espoir au patient et de l’amener à ressentir à nouveau du plaisir au bon moment en détachant le passé du présent. L’objectif est d’encourager d’abord le patient à vivre la réalité ici et maintenant, et ensuite de déconnecter la souffrance et la douleur de la mémoire. 

Comment les adolescents font-ils face aux traumatismes dont ils ont été témoins et dont ils ont souffert ? 

Les adolescents peuvent souffrir d'une détresse très profonde, car ils commencent tout juste à former leur personnalité et leur identité. Ils commencent à comprendre leur place dans le monde et se demandent : est-ce que je pourrai me sentir utile un jour ? Est-ce que je serai séduisant ? Est-ce que je pourrai gagner de l'argent ? 

Les patients adolescents qui ont subi des blessures invalidantes ont besoin d'une psychothérapie de long terme, car ils n'ont pas seulement besoin d'aide pour surmonter les mauvais souvenirs et les traumatismes, ils doivent aussi être formés à une vie nouvelle parfois effrayante, dans laquelle ils pourraient ne pas se sentir acceptés. 

Abdul Rahman, dans les couloirs de l'hôpital MSF d'Amman. Il a été blessé par le tir d'un drone israélien alors qu'il cherchait de la nourriture dans Gaza. Il a subi de nombreuses opérations à la jambe.
 © Moises Saman/Magnum Photos
Abdul Rahman, dans les couloirs de l'hôpital MSF d'Amman. Il a été blessé par le tir d'un drone israélien alors qu'il cherchait de la nourriture dans Gaza. Il a subi de nombreuses opérations à la jambe. © Moises Saman/Magnum Photos

Les adolescents qui ont eu un membre amputé ou le visage brûlé perdent leur estime de soi et leur identité est blessée. Ces enfants ont besoin de soutien pour se reconstruire. Nous essayons de leur montrer qu’ils peuvent grandir et se rétablir grâce à l’ergothérapie, mais cela prend du temps. 

Pour les plus jeunes, âgés de 10 ans ou moins, si les parents sont résilients, ils peuvent surmonter cette épreuve plus facilement qu’un adolescent ou quelqu’un qui est assez âgé, capable de comprendre ce qui s’est passé. 

À l’hôpital MSF d’Amman, nous travaillons avec une multitude de techniques, y compris la thérapie individuelle, les activités éducatives et, dans les cas plus graves, la psychiatrie et les médicaments. L’objectif est de soutenir ces enfants pour qu’ils puissent s’aimer comme ils sont et aimer la vie à nouveau, mais ils auront besoin de cette psychothérapie pendant des années pour les soutenir et pour les aider à atténuer les effets psychologiques des événements traumatisants qu’ils ont vécus. 

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